Immigration : le retour des murs de la honte et…leur illusion
C’est un véritable casse-tête auquel est confrontée l’Europe. Depuis le début de l’année,
le vieux continent fait face à une arrivée massive des migrants. Des refugiés
qui fuient la guerre en Syrie, mais surtout, des africains qui se sauvent de la
guerre et de la misère. Casse-tête pour les européens, drame pour ces
infortunés. Selon l’Organisation Mondiale des Migrations, près de 1800
personnes cherchant à gagner l’Europe ont péri en méditerranée depuis Janvier. Un bilan sans
doute sous-évalué vu le nombre des bateaux bondés qui ont fait naufrage ces
derniers mois. Pris à la gorge, les dirigeants européens cherchent comment s’en
sortir et le sujet divise.
Alors qu’en France Nicolas Sarkozy a comparé l’afflux des migrants à une fuite d’eau que le ‘’réparateur’’, à savoir l’Union européenne, a du mal à résoudre. Une métaphore de la plomberie qui a suscité une vague d’indignation au sein de la gauche au pouvoir, alors que l’Italie, principale porte d’entrée, accablée par la demande incessante des nouveaux arrivés, menace de les laisser envahir l’Europe si rien n’est fait, la Hongrie elle, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Pour empêcher les migrants qui sont passés de 2000 en 2012 à 54 000 depuis Janvier 2015, pour les empêcher donc de continuer à gagner son territoire, le pays de Viktor Orban a décidé le mercredi 17 Juin 2015, tout simplement, de fermer sa frontière avec la Serbie et de construire un mur anti-immigration. une mesure fortement critiquée, mais loin d’être une première ni la seule.
Si le fantôme de Berlin pouvait parler…
Il est loin, très loin, ce jour du 9 Novembre 1989 où le mur de Berlin tombait. Ce mur, le plus célèbre de l’histoire de l’humanité. Tristement célèbre parce que ‘’mur de la honte’’. Parce que lui aussi, en son temps, avait été érigé pour empêcher l’exode croissant des habitants de l’une des deux Allemagnes ‘’ennemies’’, la RDA vers l'autre moitié du pays, la RFA. Déjà à l’époque, deux explications du mur se sont affrontées. Ce qui était aux yeux des Allemands de l’Ouest, le mur de la honte, était plutôt une arme de protection antifasciste pour le gouvernement Est-allemand. Que l’histoire est un éternel recommencement ! Plus de 25 ans après, la Serbie, pays de transit des milliers des migrants, se dit choquée par la décision de son voisin hongrois, au moment où l’extrême droite hongroise salue une décision susceptible de protéger l’identité des hongrois contre ces populations venues d’ailleurs. Si cette initiative hongroise est sous le feu de l’actualité, autour de l’Europe les murs ont existé depuis bien longtemps sans forcément stopper les candidats vers l’eldorado européen. En 2001 par exemple, l’Union Européenne et l’Espagne n’ont pas hésité à débloquer pas moins de 30 millions d’Euro pour construire un mur aux larges de l’ile espagnole de Ceuta, porte d’entrée pour les candidats à l'exil qui passent par le Maroc . Un mur et du gaspillage pour rien car selon l’Organisation Mondiale de l’Immigration, malgré le risque, le naufrage à répétition des bateaux et le chaos en Lybie, ils seront 500 mille à tenter la traversée avant la fin de 2015.
Murs physiques et murs invisibles, même discrimination, même illusion
Pourtant le mal est profond. Le mal que personne ne voit à l’œil nu, mais qui fait davantage des dégâts que ces murs physiques tant décriés. Dans son article intitulé « la Barrière et le Checkpoint, mise en politique de l’asymétrie », Evelyne Ritaine, directrice des Recherches à l’Université de Bordeaux, pointe ce malaise d’une manière particulièrement exceptionnelle. Et il n’y a pas que l’Europe qui est concernée. Les États-Unis et (on ajoutera le Canada), n’ont-ils pas mis en place un système des murs invisibles jusque sous notre nez. Pour accepter les immigrants chez eux, les deux grandes puissances américaines choisissent. Ne peut franchir ‘’le mur du visa'', que celui qui répond aux critères, à leurs critères. Avec ce genre de mur(le visa), l’immigrant, non diplômé, sans liens économiques et sociaux solides, n’a même pas besoin de se déplacer pour entendre se faire signifier qu’on ne veut pas de lui. C’est chez lui, dans son propre pays qu’il est disqualifié. Il ne fait pas partie de ce que l’on recherche de l’autre côté du pacifique ou de la méditerranée. L’immigration choisie et non subie d'un certain Nicolas Sarkozy raisonne encore dans les esprits. Un paradoxe face à l’idée même de la mondialisation qui veut croire à un monde globalisé et globalisant. Les pionniers de la mondialisation étaient-ils, eux mêmes, animés de bonne foi. Mais c’était sans compter avec le terrorisme, le racisme, bref le refus de l’autre qui rend finalement vide de sens ce concept d’un citoyen, un monde.
Ainsi que le rappelle si bien Evelyne Ritaine, l’espace censé être global est quasiment devenu une « zone frontière ». Une zone où dominent les peurs d’attentat et les incertitudes, où l’on redoute toujours la menace de voir son travail être récupéré par ce migrant beaucoup plus diplômé que l’enfant du pays . Et si par chance, vous êtes accepté du côté du mur où il y a la lumière, une autre question pourra toujours se poser, celle de vote passeport. Une fois arrivé à la porte d’entrée du « paradis », que vaudra ce document du sud face aux clichés et aux ressortissants des « pays respectables » (France, États-Unis, Canada, Grande Bretagne, etc.) ? Dans les aéroports, les checkpoints et autres dispositifs ultra sophistiqués sont mis en place pour assurer la sélection. l'interrogatoire auquel est soumis le voyageur guinéen n'est pas toujours le même que celui réservé à son voisin canadien pourtant débarqué comme lui du même avion. Le canadien a tout simplement un bon passeport,... et les exemples sont légion.
Mais malgré ces dispositifs et ces murs dont beaucoup s’inspirent encore aujourd'hui, les intellectuels africains sont nombreux à mettre en garde : occident et nous, assènent-ils, partageons un même destin. C’est ensemble que nous nous en sortirons, et/ ou... nous nous écroulerons. Preuve qu’aucun mur ne peut suffire pour assurer la tranquillité éternelle à l’occident , pas plus tard que ce vendredi 19 Juin 2015, deux clandestins, accrochés sur les trains d’atterrissage d'un vol Afrique du Sud-Londres, ont réussi à voyager jusque dans la capitale britannique ,avant que l’un de deux courageux ne périsse sur les toits de l’aéroport d’Heathrow. C’est tragique, mais le message est là, ces deux-là, n’ont pas eu besoin d’escalader un mur pour fouler le sol européen, mort ou vif.
Yvon MUYA