Crise en RDC : Le discours politique et la tentation du constructivisme
Professeur associé au département de science politique de l’Université de Laval(Québec), Anne-Marie Gingras l’a bien écrit : « pendant la période électorale, les hommes politiques font souvent recours aux métaphores pour passer le message ». Le sport, la guerre ou encore la météo, sont autant des secteurs dans lesquels les personnalités publiques vont se ressourcer afin d’alimenter leurs discours. Question de ne pas surtout rater leur cible. « La vague bleue » par exemple en France, a toujours eu pour but de mobiliser la droite en vue d’une domination du parti de Nicola Sarkozy à l’assemblée nationale. Au moment où aux États-Unis, les candidats se disputent au fil des meetings, l’incarnation du « commander in chef ». Ce commandant en chef qui peut rassurer l’Amérique et à qui les américains doivent confier les clés de la Maison Blanche.
Inspiré par la théorie de la construction de la connaissance par le sujet (ici l’électeur, la population), théorie émise au 18e siècle par Emmanuel Kant, le constructivisme est donc cette approche qui veut que la réalité telle qu’elle nous est présentée par le discours politique, n’est pas vraiment le reflet de cette réalité elle-même. Elle est plutôt le produit de l’esprit (notre esprit) en interaction avec l’image qui nous est présentée. C’est de cette façon qu’un Obama, sénateur certes, mais d’abord simple professeur de droit pouvait devenir facilement aux yeux des américains, le commandant en chef. En 2012, l’image bling-bling collée à Sarkozy (président des riches) ne lui a laissé aucune chance. Quand la communication politique construit ou déconstruit les images dans les esprits…
En République Démocratique du Congo, la campagne présidentielle est à ce jour incertaine. C’est la crise politique qui est au cœur du discours public et de la construction du message. Kin-Kiey Mulumba, encore lui, en a évidemment fait la démonstration lors de sa sortie choc le jeudi dernier. Dans son opération de vente de l’homme providentiel, le ministre en charge des relations avec le parlement a eu recours d’abord à deux images : l’envie et la guerre. « Nous disons qu’il y a une réelle envie de Kabila », a-t-il lancé sur Rfi.
L’envie. Ce sentiment que le président de « Kabila-désir » propage depuis déjà plusieurs mois, prenait une autre dimension dans cette Interview. Avec en appui un Congo sur la voie de la prospérité grâce à l’impulsion du chef de l’État, Kin-Kiey Mulumba entendait bien graver dans les esprits de ceux qui doutent encore, que ce besoin (cette envie) de développement, les congolais le ressentent et ils ne le voient pas trouver satisfaction avec un autre. « Il faut expliquer aux gens(…) qu’ils comprennent que le besoin de paix est important. S’il n’y a pas de stabilité, on ne peut rien construire ». Intervient alors la deuxième image : la guerre. En parlant de la paix, le ministre invite indirectement les congolais à trouver par eux même le contraire de ce mot. La guerre bien entendu. Elle éclaterait au cas où une troisième chance n’était pas accordée au chef de l’État. En laissant construire l’image terrifiante de la guerre, Kin-Kiey Mulumba veut bien croire que c’est porteur. Champion de la pacification du pays, un Joseph Kabila écarté est donc pour lui le levier qu’il faut utiliser. Il est question pour lui de remettre les images des atrocités dans les esprits des congolais. Mais qui d’autre que Joseph Kabila pour être ce garent de la paix? Les hommes d’exception, ça ne vient pas tous les dix ans, répond l’ancien mobutisme. Et comme sur une superficie de plus de 2 millions de km2 il n’y a pour lui qu’un homme d’exception, le chef de file du Parti Action devait trouver une formule pour imager cet «espace vide d’hommes d’exception » et il a trouvé : « Nous n’avons pas un stock des compétences ». La phrase qui lui collera sans doute indéfiniment à la peau pour tout le reste de sa carrière politique.
Si Kin-Kiey Mulumba avait des images à construire ou laisser construire dans les esprits des congolais, en guise de réponse, dans le camp adverse, c’est l’opération déconstruction qui a été tout de suite déclenchée. Sur Rfi, la Secrétaire Générale du MLC Ève Bazaiba s’est d’abord chargée d’enlever des esprits l'image que seul Joseph Kabila peut garantir la paix. « Le fait pour lui de rester au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat, conformément à la constitution, constitue une cause d’insécurité », a-t-elle assené. Voilà la « peur » et de la « guerre » de nouveau agitées, mais dans l’autre sens cette fois-ci. De son coté, pour déconstruire l’opération de communication de Kin-Kiey Mulumba, le coordonnateur de la Société Civile Jean Bosco Puna a quant lui choisi la dramatisation : « c’est une déclaration de guerre », a-t-il déclaré, tel un appel à la mobilisation.
La métaphore dans le langage public, a, en effet, alimenté le débat politique en RDC ces derniers mois et lors de deux dernières présidentielles. On se souvient encore du « 3e faux penalty » et de « l’envahissement du terrain par les supporters » largué par Moise Katumbi en Février 2015. Un 3e pénalty qui sous entendait le 3e mandat illégal qui provoquerait des troubles. En 2006, pour éviter le face à face télévisé entre Joseph Kabila et Jean Pierre Bemba, Vital Kamerhe, alors Secrétaire General du PPRD, n’avait pas hésité à dépeindre le Chairman comme un « fauve » capable de bondir sur le président en plein débat. L’idée était de remettre dans les têtes des congolais l’image d’un homme violent qui pouvait en rappeler un autre : le Maréchal Mobutu.
En proie au Mouvement djihadiste de l’État Islamique, les occidentaux ont longtemps tâtonné avant de trouver une parade. Embêtés par le fait de combattre un groupe terroriste, mais qu’ils nommaient quand même « État ». Ce qui lui conférait un caractère légitime. Ils ont donc choisi de lui construire une image négative. C’est à l’ONU en Octobre 2014 que la coalition internationale a choisi d’appeler le mouvement terroriste par les initiales « DAECH ». Contrairement à « l’État Islamique », DAECH qui signifie pourtant la même chose en arabe, entend (c’est ce qu’ont voulu les puissances occidentales) inscrire dans l’esprit de l’opinion occidentale « un groupe d’égorgeurs » qu’il faut supprimer à tout prix. Ce qui a suffi à tous ces pays de bénéficier de l’adhésion de leurs peuples à cette nouvelle guerre.
C’est cette même manipulation de l’image et des esprits qui continuera à alimenter le débat politique dans cette crise qui est loin d’être terminée en RDC. Là où Kin-Kiey Mulumba verra en Joseph Kabila l’unique « compétent » qui peut assurer le développement du pays, Ève Bazaiba y verrait elle plutôt, « moins de 1% de la population qui a accès à l’eau potable et à l’électricité ou encore des inaugurations des œuvres réhabilitées par les ONG et non par le chef de l'État». Mais elle évite soigneusement d'évoquer l'aéroport de Ndjili, le batiment intelligent ou encore les routes qui font partie malgré tout du bilan positif de Joseph Kabila. A coté de la lutte de pouvoir, il aussi la guerre de communication.
Yvon MUYA