«Vous vous souviendrez de nous», ce cri de cœur dont on a jamais parlé
C’est une déclaration que je retiens captive voici maintenant deux ans et qui commence à m’intriguer. La tournure que prend la situation politique en RDC et le silence de Joseph Kabila à propos duquel les éditoriaux tant sérieux que drôles sont bombardés au quotidien, arrivent de plus en plus à renforcer l’idée que la plupart d’analyses et des stratégies portant sur « 2016 », risquent toutes, de passer à côté de la plaque.
Nous sommes en 2013. Le tout nouveau gouverneur du Bas Congo Jacques Mbadu vient d’être élu. Avec nos équipes, nous sommes conviés à faire une série des reportages sur la province. Mais c’est une autre actualité qui s’imposera à l’agenda. Une personnalité' de grande importance doit en fait traverser la province jusqu’à Boma. Du coup, toute l’attention ne sera portée que sur elle. Bain de foule, meetings improvisés, nous devons suivre le rythme.
Proche. Très proche du palais présidentiel et c’est un euphémisme que de le dire ainsi, la parole de l’hôte surprise du future Congo Central n’est donc pas n’importe quelle parole. Elle est à prendre au sérieux (vous aurez déjà compris de qui il s’agit). Devant des foules nombreuses, de Kisantu à Boma en passant par Kimpese, partout, la passagère de marque des Ne-Kongo n’a cessé de répéter ces mots : « Bo kokanisa biso ». Vous vous souviendrez certainement de nous, avant de balayer les rumeurs qui l’annonçaient elle-même sur la ligne de départ en vue de la prochaine présidentielle. « Ekomi o’ aza candidat, n’importe quoi », s’était-elle indignée. Voilà qui fut dit !
SILENCE, ICI JOSEPH KABILA TRAVAILLE POUR L’ALTERNANCE ?
Deux ans passés, je me rends compte que ces propos, tenus sans aucune préméditation, avaient tout d’une grande sincérité. Car voici, depuis que la crise a éclaté et les soupçons contre le chef de l’État, accusé de chercher à se maintenir au pouvoir, l’intéressé n’a jamais vraiment rien dit sur ce dont on l’accuse. Sa position est-elle différente de celle qu’affichent officiellement les ténors de la majorité ? Il est possible que la réponse à cette question soit, oui. En témoignent les toutes premières déclarations dans les rangs de la MP et non de moindre. Mars 2014, interrogé sur Rfi sur les craintes de voir le chef de l’État s’accrocher à son poste, le porte-parole du gouvernement Lambert Mende Omalanga répondait alors sans ambages qu’il y aura en 2016, un « passage de flambeau civilisé ». On ne fait pas une telle déclaration sur une radio internationale sans avoir pris toutes les précautions. Tout comme quelques mois plutôt, en Octobre 2013, lorsque le président de l’Assemblée Nationale et Secrétaire générale de la MP Aubin Minaku lâchait sur la même station que la Constitution serait respectée et que le président partirait après les élections de 2016.
Comment alors justifier le volte-face des uns et des autres qui a suivi toutes ces déclarations ? L’entourage du chef, sentant le danger de perdre les privilèges approcher, serait-il à la manœuvre ? Nombre des congolais le pensent et en ont pour preuve cette série d’évènements : livre sur la révision constitutionnelle, projet de recensement populaire, révision de la loi électorale, découpage territorial, saga Kin Kiey Mulumba, etc. Sans oublier un calendrier électoral intenable.
JOSEPH KABILA PRÊT POUR ENTRER DANS L’HISTOIRE
Alors qu’il est accusé de manœuvrer afin de rester au pouvoir au-delà de la fin constitutionnelle de son dernier mandat. Ce, alors même qu’il ne s’est jamais prononcé sur ce sujet, exerçons-nous, nous aussi à le « soupçonner » de vraiment vouloir quitter le pouvoir de manière totalement « civilisée ». Si ses détracteurs s’appuient sur toutes les manœuvres précédemment évoquées pour se convaincre de la volonté de l’actuel locataire du Palais de la Nation de s’y accrocher, le cri de cœur de la visiteuse de marque du Bas Congo (rappelons-le : Bo kokanisa biso), est aussi là pour prouver le contraire.
Aujourd’hui, à l’initiative d’un dialogue national, Joseph Kabila cherche-t-il à oublier toutes ces sirènes anti-alternance qui chantent l’homme compétent et l’homme providentiel à souhait ? Ici encore, des affirmations vont dans tous les sens, dénonçant un dialogue visant à consacrer une présidence à vie. Selon nos informations, il n’en est rien de tout cela. Joseph Kabila serait plutôt animé par le souci de ne pas laisser un « déluge » derrière. Un pays où la guerre de succession reste faire rage. Bref, un pays ingérable. D’où la nécessité de ce dialogue. Dialoguer pour organiser des élections apaisées nous dit-on. Le chef de l’État va-t-il pour cela compter sur Etienne Tshisekedi ? Vainqueur autoproclamé de la présidentielle de 2011, le chef de fil historique de l’UDPS qui n’a cessé de réclamer « son impérium », semble être aujourd’hui l’allié incontournable pour sortir le pays de la crise. Et imaginez l’affiche. « Le père de la démocratie » et « le refondateur de la démocratie » congolaise, cote à cote pour investir un nouveau président élu. Comment ne pas se souvenir éternellement d’une telle issue. À moins que le dicton « en politique, ce n’est pas ce qu’on dit, mais ce qu’on fait », vienne me rappeler la réalité et me redescendre sur terre.
Yvon Muya