RDC : Focus sur la communauté de discours dans le débat politique et ses « gardes-frontières »

Par Yvon Muya, journaliste et chercheur en études de conflits
La communauté de discours est un concept utilisé par Philippe-Joseph Salazar (2015). Ce philosophe français qui passe aux cribles les limites, les ratés, mais aussi les stratagèmes de la rhétorique occidentale face au Mouvement djihadiste de l’État Islamique.
La communauté de discours est en effet présentée comme une sorte de territoire. Seuls les habitants y sont admis. Les étrangers n’y ont pas droit de cité. Autrement dit, et pour revenir à la rhétorique, seul le discours conforme au message que l’on tient à faire passer est mis en lumière. Tout autre discours (perturbateur) doit faire face aux « gardes-frontières ». Ainsi, on a pu voir dans la communauté de discours occidental, les déclarations officielles et les médias parler des « égorgements » des victimes au lieu de « décapitations » pour désigner les assassinats terroristes. Le processus est simple : « égorgements » présente l’avantage de mettre en accusation l’auteur de cet acte criminel. Alors qu’il eut un temps où décapiter un blasphémateur ou un pécheur fut un acte de justice. Ce n’est pas à Daesh que l’on accordera ce privilège. Donc l’État Islamique égorge (assassine) et ne décapite pas.
Comment fonctionne ce processus dans le débat politique congolais ?
A la veille d’une hypothétique élection présidentielle prévue en Novembre 2016, le discours politique a pris beaucoup d’importance dans le débat public en RDC. Le tout dernier porte sur l’interprétation des articles 70, 103 et 105 de la constitution relatifs à la fin des mandats. Saisie par plus de 200 élus de la Majorité, la Cour Constitutionnelle doit trancher. Une décision à haut risque (?). En attendant, dans les deux camps, chacun croit détenir la vérité. Quitte à diaboliser l’adversaire, le mettre hors territoire de sa communauté de discours.
« Un acte citoyen et
démocratique, parfaitement constitutionnel… »
Mercredi devant la presse, le porte-parole de la Majorité Présidentielle n’a pas retenu ses coups. Pas du tout. Contre « les ennemis de notre démocratie ». Ceux à qui André Alain Atundu reproche de « mentir » au peuple. Car pour lui le dialogue convoqué par le chef de l’État n’a pas vocation à suspendre la constitution de la République. Ce n’est, à ses yeux, donc pas étrange que des députés saisissent la Haute Cour pour « éclairer » et « conforter » leur religion. Mais aussi fixer l’opinion nationale et internationale. C’est pour lui donc un acte citoyen et démocratique, parfaitement constitutionnel.
Dans les faits, André Alain Atundu n’a pas tort. Par une requête, les députés peuvent bien procéder par un recours en interprétation de la loi fondamentale auprès de la Cour constitutionnelle. C’est dans leur prérogative constitutionnelle. Légitime. Le problème, et dans la rhétorique de la MP on le sait, n’est pas là. Dans cette communauté de discours on oublie délibérément de constater que le moment n’est pas approprié pour engager une telle initiative. En effet le pays prépare ou espère tout au moins tenir un dialogue politique qui permettrait d’aller vers des « élections apaisées ». Or tout discours tendant à voir dans la saisine de la Cour un stratagème est, de facto, rejeté. Retenu aux limites du « territoire » de la communauté.
Tout autre discours n’est qu’un avis, s’est même fendu sur les antennes de Radio Okapi l’ancien ministre des affaires étrangères Leonard She Okitundu. Pour lui, seule la Cour Constitutionnelle est habilitée à interpréter la loi, et personne d’autres. Même pas lui (She Okitundu). Ici encore, la rhétorique de la Majorité fait mine d’oublier que les récentes décisions de la Cour Constitutionnelle ont non seulement créé la polémique. Elles lui ont surtout permis de renforcer encore un peu plus da domination dans le pays avec sa victoire écrasante aux élections des gouverneurs en Mars 2016. Enfin, si la Cour se limite à interpréter les dispositions querellées, l’hypothèse d’une lecture qui irait dans le sens de prolonger les mandats du chef de l’État et des élus nationaux, en cas d’absence d’élections, aura, à coup sûr, un impact sur le processus du dialogue. Certes dans les faits, cela ne changera rien. C’est dans l’esprit que cela pourrait avoir un impact non négligeable sur la suite des événements. Un tel scenario donnera par exemple pour l’opposition le sentiment d’être cocufiée : on dialogue, mais la messe est déjà dite. Voilà qui ne peut pas être admis dans la communauté de discours de la Majorité Présidentielle.
Piégée, l’opposition fait de la résistance…
Depuis le coup réussi de la « rue » en Janvier 2015, la confrontation entre le gouvernement et l’opposition est resté sur le terrain de la communication. Sur ce plan, le gouvernement a un avantage incontestable. Outre les médias, RTNC, église au coin du village, tirait un journal cette semaine [Ndlr la télévision publique qui sert quasiment de relai à la propagande officielle], les rassemblements publics sont un véritable casse-tête pour les opposants. Résultat, ils construisent eux aussi leur communauté de discours avec les stratagèmes qui s’en suivent.
Le premier acte est de placer la Cour Constitutionnelle devant des lourdes responsabilités. Dans la suite de la MP, des députés de l’opposition ont déposé à leur tour un recours à la plus haute instance judiciaire du pays. Ils sollicitent la « bonne interprétation » de l’article 70 de la Constitution, a lâché l’UNC Claudel Lubaya. « Bonne ». Voici, la mauvaise qui donnerait raison à la démarche adverse, rejetée d’avance, avant même d’être jugée. L’idée justement c’est de montrer à l’opinion que si saisir la Cour n’a rien d’illégal, en revanche, ce qui est demandé est irrégulier. Pour l’opposition, il ne fallait pas laisser le terrain de l’initiative à la majorité et attendre un rejet de la Cour sur un plateau. En développement sa rhétorique d’une opposition agissante, qui répond coup pour coup, celle-ci réussit au moins une chose : de placer la Cour et la Majorité dans une position difficile. Celle de choisir de trancher pour la majorité et apparaitre comme une institution au service d’un camp. Ou de donner raison à l’opposition et infliger un revers à la main qui te nourrit. En investissant le terrain de la communication, l’opposition fait le pari de voir la Cour constitutionnelle décider de ne pas décider. Renvoyer les deux camps dos à dos.
Reste qu’il y a un récent précédent qui ne devrait pas faire sourire l’opposition Septembre 2015. Saisie par la Commission électorale qui est alors confrontée à un calendrier électoral intenable, la Cour constitutionnelle n’avait pas hésité à bloquer tout le processus jusqu’à l’élection des gouverneurs des nouvelles provinces. Une démarche « anarchique » pour la communauté de discours de l’opposition. Mesure « salvatrice » pour la rhétorique présidentielle. Quel adjectif accompagnera cette fois-ci le désormais très attendu arrêt en interprétation de la constitution ?