Moïse Katumbi, candidat et suspect ?

Par Yvon Muya, journaliste et chercheur en étude de conflits
L’ancien gouverneur de l’ancienne province du Katanga a le sens du tempo. Le gouvernement congolais aussi. Ce mercredi 4 Mai 2016, les deux parties se sont livrées à un contre la montre sans merci. Début d’après-midi à Kinshasa, c’est le ministre de la justice qui frappe le premier. Alexis Thambwe Mwamba demande au Procureur Général de la République d’instruire une enquête sur la présence de mercenaires au Katanga. Moïse Katumbi est sans doute visé. Lui qui a vu son entourage se faire tailler en pièce ces derniers jours. Un des proches de Katumbi arrêtés lors des manifestations mouvementées du 24 Avril 2016 à Lubumbashi est en effet un ancien militaire américain. Le pouvoir congolais l’accuse d’être venu préparer une rébellion dans la riche province cuprifère. Moïse Katumbi sent la menace se rapprocher dangereusement. Cette fois-ci, plus question de se cacher derrière son petit doigt. Il annonce, à son tour, depuis Lubumbashi…, sa candidature à la présidentielle de Novembre 2016. Fini le deuil (à dieu Papa Wemba). La bataille politique reprend ses droits. Et elle s’annonce sanglante.
Moise Katumbi veut prendre la place de Joseph Kabila et il ne s’en cache pas. Joseph Kabila ne veut pas. Pas du tout le laisser marcher sur le Palais de la Nation. Il ne s’en cache pas non plus. Depuis que l’ancien bras droit du chef de l’État a claqué la porte de la majorité présidentielle fin 2014, et depuis, surtout, sa mise en garde publique au président de la république à qui il a osé demandé de ne pas briguer un 3e mandat, de ne pas s’offrir un 3e penalty, la guerre est ouverte entre les deux hommes. Riche, populaire, à la tête du plus puissant club de football du continent, Moise Katumbi est décrit comme la menace la plus sérieuse contre le projet supposé de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir. Le G7, le groupe de 7 partis qui ont quitté la famille présidentielle, avec lui, regorge, en plus, des personnalités fortes, susceptibles de renforcer encore un peu plus la machine Katumbi dans les quatre coins du pays. Sans compter un carnet d’adresse bien fourni à l’international. Acrra, Abidjan, Munich, Madrid, les forums économiques et conférences sur la sécurité du monde n’ont d’yeux que pour Katumbi et participent eux aussi à étoffer la stature de celui qui n’a occupé jusque-là que les fonctions de gouverneur de province. Le gouvernement sait donc ce qu’il fait en concentrant ses attaques sur une seule cible : Moise Katumbi.
C’est Machiavélique et c’est comme cela que ça se passe en politique. Posez la question à François Hollande, il vous donnera les nouvelles de Sarkozy. Deux mises en examen, des perquisitions à tout va et un cabinet noir confirmé à l’Élysée pour suivre les affaires de l’ancien président selon une enquête de deux journalistes de l’hebdomadaire le Point. À Paris, Sarko a chaud. Katumbi aussi, à Lubumbashi. Après une plainte contre la corruption annoncée tambour battant en 2015 par la présidence de la république, plainte restée lettre morte, l’affaire de mercenaires apparait comme la meilleure trouvaille du pouvoir contre le trop ambitieux ex patron du Katanga. Si ce dernier avait promis de crever l’abcès en cas d’accusations de détournement des fonds publics et d’enrichissement illicite, sans doute sait-t-il que la corruption en RDC est collective, le terrain sécuritaire risque bien d’être compliquée à gérer pour Moïse Katumbi. Frère de Katebe Katoto, connu pour avoir soutenu le RCD Goma, Moise Katumbi a vu, ces derniers jours, son nom être associé au sulfureux homme d’affaires Dan Gertler. Ce richissime sujet juif dont le journal français le Monde révélait, dans la foulée du feuilleton Panama Papers fin Mars 2016, le divorce d’avec le chef de l’État, prend le « pouvoir » dans les années 1990 en RDC à la suite d’un soutien à une rébellion. Celle de l’AFDL. Il serait devenu proche de Moïse Katumbi, selon le même journal. Coalition anti Kabila ?
C’est donc la guerre. Et elle est plus risquée pour Moise Katumbi car l’adversaire, sur ce terrain, a tous les moyens pour le dompter. Les moyens de l’État, police, armée, renseignements et justice qui doivent se mobiliser légitimement si une menace est avérée. Et elle semble l’être si l’on s'en tient aux arrestations et aux déclarations officielles. Pour sa défense, l’entourage de Moïse a évoqué un agent de sécurité privé envoyé par une firme américaine avec lequel ce dernier a un contrat. Quoi de plus normal dans un monde où la sécurité se démocratise de plus en plus. Mais, anormal, quand un pouvoir cherche de petites bêtes dans des cheveux un peu trop « prétentieux ».
En choisissant d’officialiser sa candidature, Moise Katumbi montre qu'il prend très au sérieux la menace qui plane désormais sur lui. Il fait le pari de placer le candidat Katumbi, que le régime Kabila persécute au-devant de la scène et espère ainsi politiser une affaire qui vise clairement à lui priver le trône. Sauf qu’au Niger, malgré sa candidature la mieux placée de l’opposition, accusé de « trafic de bébés », Hama Amadou a battu campagne entre les quatre murs de la prison de Niamey et le président sortant Mahamadou Issoufou, réélu. À la seule différence qu’en RDC, nul ne sait, à ce jour, si ces élections auront lieu.
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Yvon Muya