Sécurité privée : entre l’affaire Katumbi et un marché de la guerre qui fait main basse sur l’Afrique depuis des décennies

Par Yvon Muya, journaliste et chercheur en études de conflits
La situation politique en République Démocratique du Congo est tendue. Très tendue. À l’origine, l’injonction faite mercredi par le gouvernement congolais au Procureur général de la république d’instruire une enquête judiciaire dans la province du Katanga. Le pouvoir accuse l’ancien gouverneur de cette province passé dans l’opposition de « recrutement de présumés mercenaires, de l’organisation d’un réseau maffieux et d’une entreprise criminelle ». Plusieurs proches de Moïse Katumbi arrêtés ces derniers jours sont en effet soupçonnés de préparer une rébellion. Parmi eux, se trouve son conseiller sécurité. Un ressortissant américain et militaire à la retraite. Dans un communiqué diffusé jeudi, l’ambassade des États-Unis à Kinshasa a rejeté les accusations portées contre son compatriote, affirmant que Darryl Lewis travaille dans une société privée américaine qui fournit des services de consultation à des clients à travers le monde.
Nous présentons dans cet article un aperçu de cette activité qui se démocratise de plus en plus, mêlant business et mercenariat. Les informations sur lesquelles nous nous basons sont tirées d’un excellent article scientifique de Richard Banegas (1998) intitulé "De la guerre au maintien de la paix : le nouveau business mercenaire".
Sociétés privées de sécurité, ces nouveaux maitres du monde…
Un nom symbolise ce business et il est africain : Eben Barlow. Un ancien officier des forces spéciales sud-africaines du régime d’apartheid. Commandant en second du tristement célèbre bataillon Buffalo, Richard Banegas le présente comme responsable de massacre de nombreux militants anti apartheid dans un Afrique du Sud ségrégationniste. Mais avec à la pression internationale, les forces spéciales doivent être démantelées. Eben Barlow anticipe ces bouleversements et fonde en 1989 Exécutive Outcomes (EO) qui va devenir incontournable dans la sécurité privée. Avec Sandline International, une firme britannique, tenue, elle aussi, par un ancien militaire britannique, Tim Spicer (héros de la guerre de Malouines), EO forme un duo d’enfer. Toutes les deux sont des filiales d’un vaste holding, Strategic Ressources Corporation (SRC) créé toujours par le même Eben Barlow. Elles dominent ce nouveau mercenariat « professionnel », mais sont loin d’être les seuls. Pour Richard Banegas, en dehors des groupes britanniques comme le DSL, des sociétés américaines comme le MPRI et Wackenhut (Darryl Lewis appartient sans doute à l’une d’elles), « des dizaines, voire des centaines d’autres sociétés, allant du simple gardiennage à la guerre ‘’clé en main’’ », ont pris d’assaut ce nouveau business.
Finis donc ces temps de
mercenaires à la Bob Denard avec leurs controverses, la vente des armes et le
soutien apporté aux rebellions. Il s’agit ici d’un mercenariat des temps
modernes qui traite avec des gouvernements légitimes, mais aussi avec des privés, avec le feu vert des grands de ce monde. "Des professionnels s’occupent de la sécurité", se vante d’ailleurs souvent
le patron de Sandline International, Tim Spicer.
Selon Richard Banegas (1998) deux facteurs expliquent la montée de ces nouveaux « condottieres », ces nouveaux marchands de la guerre : les bouleversements de l’après-guerre froide et les opportunités financières offertes par la mondialisation. Avec la fin de la guerre froide, les grandes puissances sont de plus en plus réticentes à intervenir dans les conflits à « basse intensité », dans les guerres civiles intra-étatiques et laissent le champ libre aux sociétés privées. Les américains par exemple, ont encore un douloureux souvenir après la perte des 10 de leurs hommes en 1993 en Somalie. Par ailleurs, les réformes structurelles imposées aux États par le Fonds Monétaire International et la Banque Mondiale participent au resserrement des effectifs de l’appareil sécuritaire dans plusieurs pays. Et l’impact est évident sur la qualité des institutions sécuritaires. Résultat, les gouvernements recourent de plus en plus aux services privés.
Le problème est que les secteurs d’intervention ne sont pas uniquement sécuritaire pour cette activité lucrative que plus personne ne peut arrêter. Il y a bien sûr les conseils sur la sécurité, les renseignements ou l’analyse des risques. Mais ces marchands de la sécurité bénéficient aussi de l’exploitation des mines et d’autres ressources naturelles (gaz, pétrole, cuivres, bois, etc.) parfois obtenues sous formes de concessions en payement de leurs services (Banegas, 1998). Des domaines qui révèlent souvent des connexions scandaleuses entre puissances occidentales, gouvernements africains et ces sociétés privées.
Elles font et défont les régimes et font la loi…
Sierra Leone 1998. Renversé par un coup d’État en 1997, le président Ahmed Tejan Kabbah, démocratiquement élu est restauré par les forces de l’ECOMOG, avec l’aide de Sandline International utilisé par le gouvernement britannique de Tony Blair. Alors que la guerre civile fait rage, toujours, en Sierra Leone en 1995, et que les rebelles sont aux portes de Freetown, le gouvernement Strasser fait appel à Branch Energy, une filiale du holding SRC. Ayant rapidement sécurisé la capitale, les « mercenaires » prennent ensuite le contrôle des mines diamantifères de Kono puis des gisements de Sierra Rutile, avant de lancer l’assaut contre le QG de la rébellion en octobre 1996. La facture est salée : un million de dollars par mois. Incapable de payer, en compensation, le gouvernement secouru de Strasser accorde l’exploitation des mines de diamant dans les zones conquises par les troupes d’Executive Outcomes à Branch Energy, puis à Diamond Works, dont est actionnaire Tim Spicer, encore lui.
En Angola, un juteux contrat de 40 millions jette Executive Outcomes dans les bras du gouvernement de Dos Santos. Elle l’aide à moderniser son armée en 1993 pour faire face aux hommes de l’UNITA, son ancien partenaire. Vous avez dit les intérêts ! Tour à tour les hommes de Savimbi sont défaits des installations pétrolières de Soyo, puis des zones minières de Cafunfo. Même si avec la pression des États-Unis, mais aussi du FMI, Executive Outcomes va quitter le pays en 1995 pour être remplacé par son concurrent américain MPRI.
C’est cette collusion entre les grandes puissances et les multinationales sécuritaires qui a notamment contribué à la chute de Mobutu au Zaïre en 1997, écrit encore notre auteur. Il cite Ronco, une petite firme composée d’anciens des Special Forces US qui, « sous couvert de déminage au Rwanda, a vraisemblablement participé à l’offensive contre [le Marechal] en entrainant les troupes rwandaises sur la base de Cyangugu avec l’assentiment du National Security Council et de l’attaché militaire américain à Kigali, Tom Odum » (Banegas, 1998, p.189).
Tombeur de Mobutu, avec l'aide rwando-americaine, le
régime Kabila en sait sans doute beaucoup plus lorsqu'il cible Moïse Katumbi et ces connexions sécuritaires américaines, épouvantables, qui entourent son ancien protégé.
Banegas, R. (1998). De la guerre au maintien de la paix : le nouveau business mercenaire. In : Critique International, Vol 1, pp. 179-194.
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Yvon Muya
Moïse Katumbi, candidat et suspect ?

Par Yvon Muya, journaliste et chercheur en étude de conflits
L’ancien gouverneur de l’ancienne province du Katanga a le sens du tempo. Le gouvernement congolais aussi. Ce mercredi 4 Mai 2016, les deux parties se sont livrées à un contre la montre sans merci. Début d’après-midi à Kinshasa, c’est le ministre de la justice qui frappe le premier. Alexis Thambwe Mwamba demande au Procureur Général de la République d’instruire une enquête sur la présence de mercenaires au Katanga. Moïse Katumbi est sans doute visé. Lui qui a vu son entourage se faire tailler en pièce ces derniers jours. Un des proches de Katumbi arrêtés lors des manifestations mouvementées du 24 Avril 2016 à Lubumbashi est en effet un ancien militaire américain. Le pouvoir congolais l’accuse d’être venu préparer une rébellion dans la riche province cuprifère. Moïse Katumbi sent la menace se rapprocher dangereusement. Cette fois-ci, plus question de se cacher derrière son petit doigt. Il annonce, à son tour, depuis Lubumbashi…, sa candidature à la présidentielle de Novembre 2016. Fini le deuil (à dieu Papa Wemba). La bataille politique reprend ses droits. Et elle s’annonce sanglante.
Moise Katumbi veut prendre la place de Joseph Kabila et il ne s’en cache pas. Joseph Kabila ne veut pas. Pas du tout le laisser marcher sur le Palais de la Nation. Il ne s’en cache pas non plus. Depuis que l’ancien bras droit du chef de l’État a claqué la porte de la majorité présidentielle fin 2014, et depuis, surtout, sa mise en garde publique au président de la république à qui il a osé demandé de ne pas briguer un 3e mandat, de ne pas s’offrir un 3e penalty, la guerre est ouverte entre les deux hommes. Riche, populaire, à la tête du plus puissant club de football du continent, Moise Katumbi est décrit comme la menace la plus sérieuse contre le projet supposé de Joseph Kabila de se maintenir au pouvoir. Le G7, le groupe de 7 partis qui ont quitté la famille présidentielle, avec lui, regorge, en plus, des personnalités fortes, susceptibles de renforcer encore un peu plus la machine Katumbi dans les quatre coins du pays. Sans compter un carnet d’adresse bien fourni à l’international. Acrra, Abidjan, Munich, Madrid, les forums économiques et conférences sur la sécurité du monde n’ont d’yeux que pour Katumbi et participent eux aussi à étoffer la stature de celui qui n’a occupé jusque-là que les fonctions de gouverneur de province. Le gouvernement sait donc ce qu’il fait en concentrant ses attaques sur une seule cible : Moise Katumbi.
C’est Machiavélique et c’est comme cela que ça se passe en politique. Posez la question à François Hollande, il vous donnera les nouvelles de Sarkozy. Deux mises en examen, des perquisitions à tout va et un cabinet noir confirmé à l’Élysée pour suivre les affaires de l’ancien président selon une enquête de deux journalistes de l’hebdomadaire le Point. À Paris, Sarko a chaud. Katumbi aussi, à Lubumbashi. Après une plainte contre la corruption annoncée tambour battant en 2015 par la présidence de la république, plainte restée lettre morte, l’affaire de mercenaires apparait comme la meilleure trouvaille du pouvoir contre le trop ambitieux ex patron du Katanga. Si ce dernier avait promis de crever l’abcès en cas d’accusations de détournement des fonds publics et d’enrichissement illicite, sans doute sait-t-il que la corruption en RDC est collective, le terrain sécuritaire risque bien d’être compliquée à gérer pour Moïse Katumbi. Frère de Katebe Katoto, connu pour avoir soutenu le RCD Goma, Moise Katumbi a vu, ces derniers jours, son nom être associé au sulfureux homme d’affaires Dan Gertler. Ce richissime sujet juif dont le journal français le Monde révélait, dans la foulée du feuilleton Panama Papers fin Mars 2016, le divorce d’avec le chef de l’État, prend le « pouvoir » dans les années 1990 en RDC à la suite d’un soutien à une rébellion. Celle de l’AFDL. Il serait devenu proche de Moïse Katumbi, selon le même journal. Coalition anti Kabila ?
C’est donc la guerre. Et elle est plus risquée pour Moise Katumbi car l’adversaire, sur ce terrain, a tous les moyens pour le dompter. Les moyens de l’État, police, armée, renseignements et justice qui doivent se mobiliser légitimement si une menace est avérée. Et elle semble l’être si l’on s'en tient aux arrestations et aux déclarations officielles. Pour sa défense, l’entourage de Moïse a évoqué un agent de sécurité privé envoyé par une firme américaine avec lequel ce dernier a un contrat. Quoi de plus normal dans un monde où la sécurité se démocratise de plus en plus. Mais, anormal, quand un pouvoir cherche de petites bêtes dans des cheveux un peu trop « prétentieux ».
En choisissant d’officialiser sa candidature, Moise Katumbi montre qu'il prend très au sérieux la menace qui plane désormais sur lui. Il fait le pari de placer le candidat Katumbi, que le régime Kabila persécute au-devant de la scène et espère ainsi politiser une affaire qui vise clairement à lui priver le trône. Sauf qu’au Niger, malgré sa candidature la mieux placée de l’opposition, accusé de « trafic de bébés », Hama Amadou a battu campagne entre les quatre murs de la prison de Niamey et le président sortant Mahamadou Issoufou, réélu. À la seule différence qu’en RDC, nul ne sait, à ce jour, si ces élections auront lieu.
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Yvon Muya
RDC : Focus sur la communauté de discours dans le débat politique et ses « gardes-frontières »

Par Yvon Muya, journaliste et chercheur en études de conflits
La communauté de discours est un concept utilisé par Philippe-Joseph Salazar (2015). Ce philosophe français qui passe aux cribles les limites, les ratés, mais aussi les stratagèmes de la rhétorique occidentale face au Mouvement djihadiste de l’État Islamique.
La communauté de discours est en effet présentée comme une sorte de territoire. Seuls les habitants y sont admis. Les étrangers n’y ont pas droit de cité. Autrement dit, et pour revenir à la rhétorique, seul le discours conforme au message que l’on tient à faire passer est mis en lumière. Tout autre discours (perturbateur) doit faire face aux « gardes-frontières ». Ainsi, on a pu voir dans la communauté de discours occidental, les déclarations officielles et les médias parler des « égorgements » des victimes au lieu de « décapitations » pour désigner les assassinats terroristes. Le processus est simple : « égorgements » présente l’avantage de mettre en accusation l’auteur de cet acte criminel. Alors qu’il eut un temps où décapiter un blasphémateur ou un pécheur fut un acte de justice. Ce n’est pas à Daesh que l’on accordera ce privilège. Donc l’État Islamique égorge (assassine) et ne décapite pas.
Comment fonctionne ce processus dans le débat politique congolais ?
A la veille d’une hypothétique élection présidentielle prévue en Novembre 2016, le discours politique a pris beaucoup d’importance dans le débat public en RDC. Le tout dernier porte sur l’interprétation des articles 70, 103 et 105 de la constitution relatifs à la fin des mandats. Saisie par plus de 200 élus de la Majorité, la Cour Constitutionnelle doit trancher. Une décision à haut risque (?). En attendant, dans les deux camps, chacun croit détenir la vérité. Quitte à diaboliser l’adversaire, le mettre hors territoire de sa communauté de discours.
« Un acte citoyen et
démocratique, parfaitement constitutionnel… »
Mercredi devant la presse, le porte-parole de la Majorité Présidentielle n’a pas retenu ses coups. Pas du tout. Contre « les ennemis de notre démocratie ». Ceux à qui André Alain Atundu reproche de « mentir » au peuple. Car pour lui le dialogue convoqué par le chef de l’État n’a pas vocation à suspendre la constitution de la République. Ce n’est, à ses yeux, donc pas étrange que des députés saisissent la Haute Cour pour « éclairer » et « conforter » leur religion. Mais aussi fixer l’opinion nationale et internationale. C’est pour lui donc un acte citoyen et démocratique, parfaitement constitutionnel.
Dans les faits, André Alain Atundu n’a pas tort. Par une requête, les députés peuvent bien procéder par un recours en interprétation de la loi fondamentale auprès de la Cour constitutionnelle. C’est dans leur prérogative constitutionnelle. Légitime. Le problème, et dans la rhétorique de la MP on le sait, n’est pas là. Dans cette communauté de discours on oublie délibérément de constater que le moment n’est pas approprié pour engager une telle initiative. En effet le pays prépare ou espère tout au moins tenir un dialogue politique qui permettrait d’aller vers des « élections apaisées ». Or tout discours tendant à voir dans la saisine de la Cour un stratagème est, de facto, rejeté. Retenu aux limites du « territoire » de la communauté.
Tout autre discours n’est qu’un avis, s’est même fendu sur les antennes de Radio Okapi l’ancien ministre des affaires étrangères Leonard She Okitundu. Pour lui, seule la Cour Constitutionnelle est habilitée à interpréter la loi, et personne d’autres. Même pas lui (She Okitundu). Ici encore, la rhétorique de la Majorité fait mine d’oublier que les récentes décisions de la Cour Constitutionnelle ont non seulement créé la polémique. Elles lui ont surtout permis de renforcer encore un peu plus da domination dans le pays avec sa victoire écrasante aux élections des gouverneurs en Mars 2016. Enfin, si la Cour se limite à interpréter les dispositions querellées, l’hypothèse d’une lecture qui irait dans le sens de prolonger les mandats du chef de l’État et des élus nationaux, en cas d’absence d’élections, aura, à coup sûr, un impact sur le processus du dialogue. Certes dans les faits, cela ne changera rien. C’est dans l’esprit que cela pourrait avoir un impact non négligeable sur la suite des événements. Un tel scenario donnera par exemple pour l’opposition le sentiment d’être cocufiée : on dialogue, mais la messe est déjà dite. Voilà qui ne peut pas être admis dans la communauté de discours de la Majorité Présidentielle.
Piégée, l’opposition fait de la résistance…
Depuis le coup réussi de la « rue » en Janvier 2015, la confrontation entre le gouvernement et l’opposition est resté sur le terrain de la communication. Sur ce plan, le gouvernement a un avantage incontestable. Outre les médias, RTNC, église au coin du village, tirait un journal cette semaine [Ndlr la télévision publique qui sert quasiment de relai à la propagande officielle], les rassemblements publics sont un véritable casse-tête pour les opposants. Résultat, ils construisent eux aussi leur communauté de discours avec les stratagèmes qui s’en suivent.
Le premier acte est de placer la Cour Constitutionnelle devant des lourdes responsabilités. Dans la suite de la MP, des députés de l’opposition ont déposé à leur tour un recours à la plus haute instance judiciaire du pays. Ils sollicitent la « bonne interprétation » de l’article 70 de la Constitution, a lâché l’UNC Claudel Lubaya. « Bonne ». Voici, la mauvaise qui donnerait raison à la démarche adverse, rejetée d’avance, avant même d’être jugée. L’idée justement c’est de montrer à l’opinion que si saisir la Cour n’a rien d’illégal, en revanche, ce qui est demandé est irrégulier. Pour l’opposition, il ne fallait pas laisser le terrain de l’initiative à la majorité et attendre un rejet de la Cour sur un plateau. En développement sa rhétorique d’une opposition agissante, qui répond coup pour coup, celle-ci réussit au moins une chose : de placer la Cour et la Majorité dans une position difficile. Celle de choisir de trancher pour la majorité et apparaitre comme une institution au service d’un camp. Ou de donner raison à l’opposition et infliger un revers à la main qui te nourrit. En investissant le terrain de la communication, l’opposition fait le pari de voir la Cour constitutionnelle décider de ne pas décider. Renvoyer les deux camps dos à dos.
Reste qu’il y a un récent précédent qui ne devrait pas faire sourire l’opposition Septembre 2015. Saisie par la Commission électorale qui est alors confrontée à un calendrier électoral intenable, la Cour constitutionnelle n’avait pas hésité à bloquer tout le processus jusqu’à l’élection des gouverneurs des nouvelles provinces. Une démarche « anarchique » pour la communauté de discours de l’opposition. Mesure « salvatrice » pour la rhétorique présidentielle. Quel adjectif accompagnera cette fois-ci le désormais très attendu arrêt en interprétation de la constitution ?
RDC : La « 2277 », une résolution qui change tout ?

Par Yvon Muya, journaliste et chercheur en études de conflits
En République Démocratique du Congo on ne parle que de ça. De ces quatre chiffres. Les 2277. En votant à l’unanimité pour le maintien de 20.000 hommes de la Monusco, mais surtout en renforçant le mandat la force onusienne pour le lier à la tenue des élections dans le délai constitutionnel, le conseil de Sécurité des Nations-Unies a peut-être donné un tournant à la crise politique qui agite le Congo Kinshasa depuis plusieurs mois. Les réactions des responsables congolais qui en ont suivi, en démontrent la portée symbolique. « Irresponsable d’insister sur le respect du délai constitutionnel », s’est insurgé le ministre des affaires étrangères Raymond Tshibanda. « De l’ingérence », a dénoncé l’inoxydable Lambert Mende. Ce ton qui monte du côté des autorités congolaises prouve que, cette fois-ci, quelque chose a été atteint dans la stratégie inavouée de jouer les prolongations au pouvoir. Car jusque-là, tout allait bien. Grace à trois stratagèmes brillamment orchestrés, Joseph Kabila avait su déstabiliser l’opposition.
Le silence assourdissant
du président
Depuis le début de la crise et les accusations contre la volonté du chef de l’État de se maintenir au pouvoir, Joseph Kabila n’a jamais évoqué son avenir politique. En tout cas, pas en public. Et lors des interventions officielles, discours devant le congrès, fête de l’indépendance, les rares occasions où il s’adresse aux congolais, ne comptez pas sur le président pour qu’il vous annonce sa (ou non) candidature à la prochaine présidentielle. Le dialogue pour la cohésion nationale et pour les élections apaisées sont les quelques passages réservés à la question que tout le monde se pose. Tout le reste est une rhétorique historico-identitaire mêlant Lumumba, Kimbangu et Kimpa Vita, pour le bonheur des nationalistes qui voient d’un mauvais œil l’ingérence étrangère dans une question électorale interne, et des « fans », souvent mobilisés dans ces moments-là.
Cependant ce stratagème du silence est bien structuré. Le président ne parle pas. Les autres le font pour lui. Ainsi, le ministre chargé des relations avec le parlement Truphon Kin Kiey Mulumba provoquait un tollé fin 2015 après avoir suggéré que le président était le seul compétent pour diriger le pays qui n’en a pas en « stock ». Ces propos ont fait polémique, mais avaient poursuivi un objectif. Celui de replacer le débat sur un fait : a-t-on vraiment besoin de prendre le risque de changer de capitaine ? Dans la foulée, les messages sur le dialogue national diffusés dans les médias et relayés à longueur des journées par les communicants de la majorité, réussissaient parfois à donner le sentiment qu’il y a d’un côté celui qui veut la paix et le bien des congolais (le président), et de l’autre, ceux qui veulent la guerre (l’opposition). Message porté jusque devant les Nations-Unies par le chef de la diplomatie congolaise avant le vote de la résolution querellée.
En attendant le dialogue, on fait de la politique
C’est le stratagème qui a le plus fonctionné jusque-là, assure un journaliste renommé de la scène politique congolaise : le levier politique. Car en attendant l’hypothétique dialogue national, la tactique politique, elle, a tourné à plein régime. Septembre 2015, le calendrier global de la Commission électorale est intenable. La CENI saisit la Cour constitutionnelle. Celle-ci tranche en bloquant le processus électoral qui ne peut être relancé qu’après l’élection des gouverneurs des 21 nouvelles provinces. Le chef de l’État gagne le temps pour la première fois et prend le contrôle de ces toutes fraiches entités en nommant les commissaires spéciaux. Tous de sa famille politique. L’opposition crie à la violation de la constitution, mais ne peut pas en dire plus. Elle n’a pas non plus de marge de manœuvre lorsque la CENI publie en Mars 2016 la liste des candidats gouverneurs et vice gouverneurs, archi-dominée par la Majorité Présidentielle. Même si, au final quelques incoercibles n’ont pas raté leur chance. Le cas notamment de José Makila, président de l’Alliance des Travailleurs pour le Développement et transfuge du MLC de Jean Pierre Bemba. Il remporte le Sud-Ubangi, contribuant du coup à légitimer un processus que la Dynamique de l’opposition et le G7 qualifiaient pourtant d’anarchique.
Pour les stratèges du pouvoir, le scenario était prévu d‘avance. S’assurer le contrôle du pays à la base (mission accomplie à 98 %), lancer un appât à l’opposition et faire participer celle-ci à une compétition qui vise à brouiller encore un peu plus l’avenir électoral du pays. Les congolais aiment le pouvoir, difficile d’empêcher un candidat (de l’opposition) qui a sa chance, de décrocher une province. Tel était le pari.
La force, derniers recours…
Et si rien ne fonctionne, on fait quoi ? Cette question a sans doute occupé les discussions secrètes dans les rangs de ceux qui tiennent coûte que coûte à faire durer le plaisir au pouvoir. La force. Certainement. Le pilier de la force sur lequel le chef de l’État devra s’appuyer en cas de besoin, avait déjà commencé à manifester ses premier signaux ces derniers mois. Janvier 2016, la police reçoit du matériel anti-émeute. Des véhicules dotés de jets d’eau, grenades assourdissantes et gaz lacrymogènes. Un arsenal anti-manifestations qui n’est pas sans rappeler que le gouvernement avait encore en travers de la gorge un autre Javier (2015) qui a vu la rue faire échec à la modification de la loi électorale. Pour le ministre de l’intérieur Évariste Boshab qui a vanté un équipement pour « gérer les foules », la leçon est vite apprise. L’autre preuve qui montre que la force est l’une des cartes de la stratégie, sinon la plus essentielle du dispositif stratégique, à l’approche de l’échéance du mandat présidentiel, c’est l’activisme de la police durant les célébrations des victoires des « Léopards » au CHAN Rwanda 2016 à Kinshasa. L’apparition à la télévision du patron de la police dans la ville de Kinshasa, le Général Célestin Kanyama, arborant sa tenue de commandant, tel un pays en état de siège, pour interdire toute expression publique de joie, constituait, en somme, un message sans équivoque. La force s’imposera contre toute contestation.
Ces trois stratagèmes ont maintenu à flot le bateau MP et certainement réussi à déstabiliser l’opposition dans ce long bras de fer politique. Celle-ci désormais plurielle, n’arrivant plus à parler d’une seule voix. Avec un G7 favorable au seul dialogue qui conduirait à une transition de 120 jours sans Joseph Kabila, une Dynamique opposée à un dialogue jugé inopportun, et l’UDPS qui change de position toutes les semaines naviguant entre pour et contre ces pourparlers. Ces atermoiements ajoutés à la mise raflée par les partis de la majorité aux élections des gouverneurs, au dialogue présenté comme seule voie possible pour la paix, et surtout au constat que les élections ne sont plus possibles avant Novembre 2016, avaient tout pour ouvrir un boulevard à Joseph Kabila et permettre au chef de l’État de rempiler à la tête du pays. Le débat sur le vide juridique après Décembre 2016, tout le monde le sait, ne peut pas échapper au sortant.
D’ailleurs, en réponse à un bruit qui court, attribuant à la MP une démarche tendant à saisir la Cour constitutionnelle en interprétation de l’article 70, Olivier Kamitatu, membre du G7 ne s’y trompe : « Et la Cour constitutionnelle va nous annoncer la naissance le 19/12 à minuit d’un ‘’Super Commissaire Spécial’’ ! », a-t-il assené sur son compte Tweeter. La résolution 2277 a de quoi empêcher une telle naissance. Voté notamment par la Russie connue pour son opposition à l’ingérence dans les affaires internes d'un pays souverain, et par l'Angola, traditionnel Allié du régime de Kinshasa, mais dont le président Eduardo Dos Santos vient d'annoncer sa retraite politique à compter de 2018, tel un message contre la présidence à vie, le texte proposé par la France exhorte les congolais au respect de la constitution et au dialogue. La fin de 2016 promet.
Intervention militaire française en Afrique, de Foccart à Sarkozy, entre camaraderie et défense des intérêts parisiens : des interrogations sur l’aspect humanitaire des opérations
Journaliste et chercheur en étude de conflits
Introduction
L’intervention militaire de la France en Afrique a longtemps fait l’objet de plusieurs controverses. En cause, les contradictions souvent constatées entre les raisons préalables à l’origine du déploiement des troupes françaises dans un pays en conflit sur ce continent et la tournure décalée que prend l’opération une fois sur le terrain. De soutien apporté aux régimes qualifiés d’autoritaires au renversement d’autres défavorables au « pré-carré parisien » en passant la confrontation avec les forces locales dans certains cas, la présence française militaire sur le continent africain suscite encore aujourd’hui, inquiétudes, colère et interrogations. C’est le cas notamment de l’opération « Licorne » déployée en 2002 en Côte d’Ivoire officiellement pour empêcher le massacre des populations civiles, et qui a fini, onze ans plus tard, par jouer un rôle déterminant dans la chute du président Laurent Gbagbo. C’est cette opération Licorne justement qui va nous intéresser. A travers cet article, nous tentons de comprendre pourquoi l’opération Licorne, à l’origine, humanitaire, a pu en arriver à ce genre de revirement. Il s’agira en effet d’évaluer la manière dont cette opération s’est déroulée au fil des années, le discours français et les instruments juridiques qui l’ont accompagné, ainsi que la lecture qu’en ont faite les bénéficiaires, particulièrement, les parties ivoiriennes en conflit. Pour y parvenir, nous nous appuierons sur les textes d’histoire et d’analyse des relations entre la France et l’Afrique en général, et entre la France et la Cote d’Ivoire en particulier.
De manière générale, une intervention humanitaire, comme celle que nous allons examiner dans les lignes qui suivent, est souvent présentée comme l’usage des moyens militaires à des fins humanitaires sous l’approbation des Nations Unies. Ou encore selon Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, l’usage de la force par un État, un groupe d’États ou une organisation internationale, intervenant militairement en territoire étranger dans le but de prévenir ou de faire cesser des violations graves et massives des droits humains les plus fondamentaux sur des individus qui ne sont pas des nationaux de l’État intervenant et sans le consentement des autorités locales (Vilmer,2012, 104). Peut-on, à ce propos, percevoir l’opération Licorne sous l’angle que suggèrent ces définitions ? Quels sont les facteurs qui ont influencé son déroulement dans un sens comme dans un autre ? Pourquoi a-t-elle suscité tant des controverses ? Fallait-t-il vraiment faire recours à la force ou biens, d’autres moyens pacifiques étaient encore envisageables ? Telles sont les questions auxquelles nous allons tenter de répondre au cours de cette étude qui s’articulera de la manière suivante : la première partie sera consacrée au contexte du conflit ivoirien. Elle résumera les faits saillants de la crise en Côte d’Ivoire qui a nécessité l’intervention de la France. Dans la deuxième partie, nous discuterons le déroulement de l’opération Licorne, son histoire, son cadre légal, ses moments de vérité, ses contradictions et son évolution depuis sa mise en place en 2002 jusqu’à ce tournant du 11 Avril 2011 marqué par le renversement de Laurent Gbagbo. Enfin, nous terminerons par une conclusion.
1. La crise en Côte d’ivoire (1999-2011)
À l’image de nombreux pays africains, la Cote d’Ivoire a connu plusieurs crises politiques et des guerres civiles depuis son indépendance en 1960. Dans le cadre de ce travail, nous nous limiterons à la période qui va de 1999 à 2011. Cette période est marquée par le conflit armé qui a nécessité l’intervention militaire de la France. Mais il nous faut d’abord remonter au 7 Décembre 1993 où la mort du père de l’indépendance, le président Felix Houphouët Boigny laisse le pays entrer dans une période d’incertitudes et d’instabilité qui sont les prémisses de la longue crise qui nous intéresse. A l’origine de celle-ci, une réforme de la constitution qui avait prévu de confier au président de l’Assemblée nationale l’achèvement du mandat présidentiel en cas de disparition. Mais elle est diversement interprétée. Ce qui entraine une lutte de pouvoir entre Alassane Ouattara, le premier ministre, et Henri Konan Bédié, le président de l’Assemblée nationale qui finira par l’emporter (Antoine Dulin, 2005, 2).
Dans ce climat fragile, le nouveau président, aidé par ses amis intellectuels de la Curdiphe, officialise le discours de l’ « ivoirité » à partir de 1995, discours qui vise à écarter Alassane Ouattara des élections. Mais bien avant, c’est Laurent Gbagbo qui en fit un thème de campagne lors de la présidentielle de 1990 : pour la première fois dans la presse du Front Populaire Ivoirien (FPI), Alassane Ouattara était qualifié de burkinabè et Gbagbo lui-même traitait les électeurs du Nord de « bétail électoral » (Ruth Marshal, 2005, 23).
Les deux hommes et leurs partis respectifs, le RDR et le FPI, vont malgré tout accepter de légitimer le coup d’État qui porte au pouvoir au le 24 Décembre 1999 le général Robert Gueï et plonge le pays dans la violence. Le discours xénophobe est pourtant amplifié et Robert Gueï sanctifie la ‘’chasse aux allogènes’’. Une nouvelle constitution qui consacre l’ivoirité est adoptée par referendum le 23 Juillet 2000 par 86% des voix exprimées. « Le président de la république de Côte d’Ivoire doit être ivoirien d’origine, né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens d’origine et ne s’être jamais prévalu d’une autre nationalité », y est-il stipulé à l’article 35 (Dulin, 2005, 3). Mais Laurent Gbagbo qui remporte la présidentielle d’Octobre 2000 de laquelle Alassane Ouattara est exclu, ne remet pas en cause lui non plus une décision de justice interdisant à Ouattara de se présenter aux élections législatives. Le parti de ce dernier boycotte alors les élections, amplifiant un climat social déjà très tendu. Ainsi que le souligne Antoine Dublin, le pays sombre dans le chaos. La possibilité de conduire la lutte politique par le recours à une rébellion armée et un coup d’État a été banalisée. Les leaders politiques ont entretenu la machine infernale de la division, contribuant à séparer un peu plus les Ivoiriens entre eux (Dulin, 2005, 5).
La France s’est trouvée impliquée dès le début dans cette crise pour « assurer la sécurité des ressortissants français et des citoyens occidentaux », poursuit l’auteur. Elle s’est ensuite engagée début octobre 2002 dans l’opération Licorne avec l’intervention de plus de 3000 hommes pour veiller à la cessation des hostilités et à l’application du cessez le feu, à la demande de la Communauté des États de l’Afrique de l’Ouest (Dulin, Ibid.). Nous reviendrons en détails sur cette opération dans la section qui suit pour en évaluer les tenants et les aboutissants, ainsi que la justification et les contradictions. Ceci d’autant plus qu’avec ses différentes évolutions, en 2011, en pleine crise postélectorale entre le président Laurent Gbagbo et le candidat du RDR Alassane Ouattara, l’opération Licorne a contribué à la chute et l’arrestation du président sortant. Même si le président Français Nicolas Sarkozy s’est justifié dans sa réponse à la demande du secrétaire général de l’ONU, arguant n’avoir agi uniquement que pour protéger les civiles :
" The president’s statement on 4 April 2011, mentions the use of heavy weapons by ex-president Gbagbo against the civilian population and the ensuing Security Council mandate (Resolution 1975/2011) calling for a halt to the use of such weapons. In this letter Sarkozy made it known that the Secretary-General had requested French support for UNOCI, and that he had given the French forces authorization to act in accordance with the Secretary-General’s request. The last presidential statement on the Elysee’s official webpage dates from 11 April 2011, which is the day when ex-president Gbagbo was arrested. There is no way of telling whether the statement was issued before or after Gbagbo’s arrest " (Katariina Simonen, 2012, 366)
A l’image de différentes actions menées par l’armée française depuis le début de l’opération en 2002, voire avant sur d’autres terrains de conflit, cette justification officielle a toujours eu du mal à convaincre et est jusqu’à ce jour, l’objet de plusieurs interprétations.
2. Opération Licorne : était-elle vraiment humanitaire ?
Près de deux ans après son élection, le président Ivoirien Laurent Gbagbo est confronté à une insurrection armée. Dans la nuit du 18 Septembre 2002, des mutineries ont lieu dans toute la Côte d’Ivoire, notamment dans les principales villes du pays. Bouaké et Korhogo tombent aux mains des rebelles du MPCI (Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire) qui vont peu à peu contrôler 40 % du territoire. C’est ici que la France va immédiatement intervenir dans le conflit proposant à Laurent Gbagbo en visite officielle en Italie à l’époque du soulèvement, de l’accueillir sur le territoire français en attendant le retour au calme. Celui-ci refuse et préfère partir en « croisade » dans «une guerre totale contre les terroristes ». La France condamne la tentative du renversement du gouvernement démocratiquement élu de la Cote d’Ivoire et décide du déploiement, sur le territoire ivoirien, des militaires français de la base du 43eme BIMA pour venir en aide aux ressortissants (Dublin, 2005, 27). Il faut tout de suite souligner ici le motif de cette intervention : «venir en aide aux ressortissants français». Car dans les semaines qui ont suivi, le Conseil de sécurité des Nations Unies, tout en condamnant les violations graves des droits de l’homme et du droit international humanitaire intervenues en Côte d’Ivoire depuis le 19 Septembre 2002, se félicitait du déploiement de la force de la CEDEAO et des troupes françaises « pour contribuer à une solution pacifique à la crise , et en particulier à la mise en oeuvre de l’Accord de Linas –Marcoussis(Résolution 1464, 2003).
De la protection des français et d’autres populations civiles, il est important de remarquer qu’il y a certes eu pour la France une urgence humanitaire. Mais très vite une autre étape a été franchie avec cet accord conclu par les belligérants dans une ville française (Linas-Marcoussis) et sans doute avec une certaine influence de la France. Pour Paris, c’est presqu’une obligation d’intervenir et de ne pas laisser se développer une situation incontrôlable dans un pays qui compte beaucoup pour la France. Et la politique militaire française en Afrique en général longtemps passée sous silence, comme le note Danièle Domergue, est là pour corroborer cette affirmation. La France,
écrit-il, a affirmé que l’évolution de l’Afrique intéressait sa sécurité militaire et elle a justifié sa position en disant qu’elle souhaitait assurer la défense des intérêts français, africains, mondiaux et stratégiques. Le terme d’« intérêts » recouvrant aussi bien des intérêts d’ordre économique, politique et stratégique, sans parler de la protection de ses ressortissants (Danièle Domergue, 1998, 118).
Intérêts. Le mot est lâché. Et il permettra d’analyser l’évolution de la Force de la Licorne face à l’attitude des acteurs ivoiriens du conflit ainsi que leurs rapports avec l’ancienne puissance coloniale. Alors que depuis les indépendances, la France a été traditionnellement accusée de néocolonialisme à travers ses interventions militaires sur le continent, ce que les partisans de Laurent Gbagbo n’ont pas manqué de rappeler en pleine opération Licorne, le journaliste du Monde Pierre Biarnes que cite Jean-Pierre Bat résume cette politique française de la manière suivante :
« consolider le pouvoir des dirigeants qui jouaient loyalement le jeu de l’amitié franco-africaine et faire sentir le mors à ceux qui regardaient un peu trop dans d’autres directions; contrer en même temps les visées concurrentes dès qu’elles étaient menaçantes » (Jean-Pierre Bat, 2010, 43).
C’est sans doute dans cette logique que cette analyse, bien que nuancée par Antoine Dublin, perçoit l’économie comme facteur qui a joué un rôle clé dans la crise ivoirienne et l’intervention de la France en Cote d’Ivoire a pu être engagée justement pour protéger les investissements français et contrer Laurent Gbagbo qui, après son élection, avait appelé à une grande ouverture du marché, notamment vers les États-Unis (Dublin, 2005,15). Ce qui n’a pas empêché le discours officiel français à camper sur le prétexte humanitaire pour justifier l’intervention, à l’instar du ministre des affaires étrangères Dominique De Villepin qui déclarait en Décembre 2002 : « il faut bien voir que si la France n’était pas là, une catastrophe aurait déjà eu lieu. Rappelez-vous qu’au Rwanda il y a eu des centaines des milliers de morts ! » (Dulin, Ibidem). Une France animée par la volonté d’éviter une tragédie qu’elle n’a pas pu empêcher en 1994 au Rwanda ? Si la montée de la violence et de la xénophobie dans le pays permettent de répondre dans l’affirmative à cette question, la détérioration des relations entre la France et Laurent Gbagbo sont là aussi pour démontrer que Paris, comme nous l’avons vu, venu défendre un gouvernement "démocratiquement élu" pouvait à tout moment changer de position une fois que celui-ci commençait à échapper à son contrôle. C’est ce qui arrive lorsque le 19 Novembre 2002 le président Gbagbo propose un referendum pour amender la Constitution au sujet des conditions d’éligibilité en général et de celles d’Alassane Ouattara en particulier, la rébellion rejette cette offre sans discussion, exigeant « un nouvel ordre politique ». Mais Paris cède à cette revendication. Et bien que les autorités françaises s’en soient défendues par la suite, l’Accord de Marcoussis, en prévoyant la mise en place immédiate d’un gouvernement de réconciliation nationale « qui disposera pour l’accomplissement de sa tâche, des prérogatives de l’exécutif », conclut implicitement à l’illégitimité, dans l’exercice de ses fonctions, du président Gbagbo. Pour s’en convaincre, il suffit de rappeler les fortes pressions exercées sur celui-ci par les dirigeants français lors du sommet de Paris chargé d’entériner les résolutions de Marcoussis, les 25 et 26 Janvier (Stephen Smith, 2003, 120).
Gbagbo le "rebelle" n'est pas Léon M'Ba ''le fidèle''...
Un traitement de faveur réservé aux rebelles et l’élimination politique de Laurent Gbagbo de plus en plus envisagée, qui tranche avec l’attitude de la France face aux autres dirigeants africains dans les conflits similaires mais qui lui restent encore loyaux. L’exemple du Gabon est très éloquent à ce sujet : Dans la nuit du 17 au 18 Février 1964, le président gabonais Léon M’Ba est enlevé au cours d’un coup d’État organisé par un groupe d’officier militaires. Sitôt informé, Foccart (conseiller de l’Élysée chargé de l’Afrique) tient une réunion de crise et décide d’envoyer des parachutistes contre les putschistes. De Gaule valide le lendemain matin la décision prise par son conseiller. Les éléments français lancent l’assaut sur Libreville le 19 Février à l’aube, prennent le contrôle des bâtiments officiels et affrontent les soldats gabonais au camp de Baraka. L’affaire est close en fin d’après-midi (Jean-Pierre Bat, 2010, 47). « Aucune négociation avec les putschistes. Léon M’Ba doit être réhabilité », déclara d’ailleurs Jacques Foccart. Un soutien que n’a pas pu bénéficier Gbagbo 60 ans plus tard. Bien au contraire. Sous le prétexte de l’attaque d’un camp militaire français qui provoque la mort de neuf soldats Français le 6 Novembre 2004, la France cessait d’être un médiateur pour devenir, de facto, un protagoniste militaire dans la crise ivoirienne (Ruth Marshall, 2005, 25).
Avec la destruction totale de l’aviation militaire ivoirienne par les forces françaises « sur ordre de Jacques Chirac » qui ne pouvait que susciter une réaction violente, Ruth Marshall se demande même pourquoi la réaction française a pris une forme si unilatérale. Nous prendrons en notre compte la thèse d’Antoine Dublin pour comprendre cette attitude désormais ambiguë de la France. Dès le début, écrit cet auteur, la France a choisi d’intervenir dans ce conflit. Elle est intervenue grâce au déploiement de l’opération Licorne qui a vu ses missions évoluer tout au long du conflit, ne se cantonnant plus seulement à la protection des ressortissants. Mais cette implication, de plus en plus importante dans le conflit va susciter de nombreuses critiques, la France se montrant indifférente au développement de la crise, parfois omniprésente, certains allant jusqu’à lui reprocher une politique néocoloniale (Dulin, 2005,47).
Qu’importe, l’essentiel pour Paris n’est pas là. Ainsi que le constate Danièle Domergue, toutes ces interventions faites au nom d’une menace qui n’est en rien extérieure ou au nom de la protection des ressortissants qui ne sont pas d’ailleurs toujours en danger, ramènent le calme dans le pays et assurent la protection des intérêts économiques et stratégiques. C’est le Cas au Tchad avec l’opération « Tacaud » en 1978 qui sauve le gouvernement de F. Maloum, de l’opération « Manta » en 1983 qui assure la survie du régime d’H. Habré de la même manière que l’opération « Épervier » en 1986 qui lui permettra entre autre de se faire réélire à la présidence de 1989. Le phénomène se reproduira avec Idriss Deby que la France a appuyé discrètement dans sa marche victorieuse sur N’Djamena en Décembre 1990 (Domergue, 1998, 127).
Sur l’opération Licorne, les accords de Marcoussis qui ont marqué l’évolution de l’intervention française vers une phase politique, ont non seulement affaibli le président Laurent Gbagbo, mais aussi démontré le soutien de Paris, cette fois-ci, non pas discret comme ce fut dans le cas du tchadien Idriss Deby, mais complètement explicite, à travers un accord dénoncé par Abidjan. Nous notons que le stratégique tendant à éviter tout basculement du pays dans la violence et avec lui, les intérêts économique français, le stratégique donc, se conjugue avec le politique pour conserver dans l’orbite français le pays en conflit. Quitte à sauver le pouvoir en place comme a pu en bénéficier le président gabonais Léon M’Ba en 1964, ou s’en débarrasser comme le tchadien Hussain Habré, écarté au profit du rebelle Idriss Deby. Pour Laurent Gbagbo c’est ce dernier sort que commençait à lui réserver une opération Licorne très tendre avec les rebelles du Mouvement Patriotique de Côte d’Ivoire comme nous l’avons vu précédemment. Si le climat difficile entre les dirigeants français et le chef de l’État ivoirien peut expliquer cette situation, il faut noter que tout dépend aussi de la couleur politique en France...
En effet, avant le lancement de l’opération Licorne, la France est dans une cohabitation à la tête de l’exécutif provoquée par la victoire de la gauche aux élections législatives en 1995. Contrairement à Jacques Chirac, qui, on l’a vu, après avoir retrouvé les mains libres dès 2002 a mené l’intervention française jusque dans les affaires internes ivoiriennes, Lionel Jospin, premier ministre socialiste dès 1997, a dû lui, instaurer une politique dite de « ni ingérence ni indifférence » sur le continent africain : une pratique plus restrictive des interventions militaires bilatérales, limitées prioritairement à la sécurité des ressortissants français et non plus au maintien en place des régimes menacés ( Dulin, 2005, 22). Mais cette politique a eu des conséquences immédiates sur le continent, mais aussi sur une France « obsédée » par la volonté de garder sous son escarcelle les pays de son ‘’pré-carré ‘’. Elle laisse par exemple le Mouvement populaire pour la Libération de l’Angola (MPLA) prendre la tutelle militaire directe du Congo Brazzaville à partir de 1997. Elle laisse aussi la Lybie développer sa présence au Tchad et en République Centrafricaine, détruisant avec une aisance déconcertante l’oeuvre des trois présidents de la République qui s’étaient opposés auparavant à la politique du colonel Kadhafi. Cette doctrine ‘’ni ingérence ni indifférence’’ aura également un impact sur la Côte d’Ivoire. Le coup d’État réussi de décembre 1999 par Robert Gueï contre Henri Conan Bédié, jusqu’alors soutenu par la France, n’entrainera aucune réaction de sa part, notamment militaire, alors que les deux pays sont liés par des accords de défense (Dulin, 2005, 23). C’est sans doute pour mettre fin à cet immobilisme qui commençait à desservir les intérêts français que l’actuel président français François Hollande, bien que socialiste comme Jospin, n’a pas lui, hésité, à lancer le 11 Janvier 2013, l’opération "Serval" sur le Mali qu’il a justifiée de la manière suivante :
« Le Mali fait face à une agression d’éléments terroristes, venant du Nord, dont le monde entier sait désormais la brutalité et le fanatisme. Il en va donc aujourd’hui, de l’existence même de l’État ami, le Mali, de la sécurité de sa population, et celle également de nos ressortissants. Cette opération durera le temps nécessaire. Les terroristes doivent savoir que la France sera toujours là lorsqu’il s’agit non pas de ses intérêts fondamentaux, mais des droits d’une population, celle du Mali qui veut vivre libre et dans la démocratie » (Bruneau Charbonneau, 2014, 602).
Comme le relève Bergamaschi cité par Charbonneau, l’accent mis sur la violence islamiste et terroriste, a bien sûr permis d’arrêter la poussée des groupes terroristes. Mais l’intervention militaire française a aussi contribué à une redistribution du pouvoir au Mali (Charbonneau, 2014, 603). Voilà qui nous renvoie au discours officiel de 2002 du ministre des affaires étrangères Dominique De Villepin, nous l’avons évoqué, qui saluait après le lancement de l’opération "Licorne", une intervention qui a permis d’éviter la tragédie semblable à celle qu’avait connue le Rwanda en 1994 sous les yeux de l’armée française. Mais les différentes évolutions de toutes ces opérations, en particulier « Licorne », ont eu du mal à cacher la volonté de Paris d’obtenir la résolution de la crise dans le sens voulu par lui. L’intervention au Gabon qui nous a démontré comment la France est allée secourir le régime gabonais en 1964 va dans ce sens. La mobilisation du président Sarkozy aussi, après la crise postélectorale de Novembre 2010 en Côte d’Ivoire avec... l'opération Licorne au cœur du « jeu » :
"Several presidential communique´s were issued to this effect shortly after the November election. In these, the president underlined the importance of respecting the will of theIvorian people and the results of the election. Sarkozy stressed that it was Ouattara who was elected president by the Ivorian people, even going so far as to urge the ex-president to step down, and other unfriendly state acts were also directed against ex-president Gbagbo" (Katariina Simonen, 2012, 366).
Il est vrai que le cadre juridique symbolisé notamment par la Résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies demandait aussi instamment à toutes les institutions d’État ivoiriennes, les forces de défense et de sécurités de Côte d’Ivoire (FDS-CI), de se soumettre à l’autorité que le peuple ivoirien a conférée au Président Alassane Dramane Ouattara (Résolution 1975 de l’ONU, 2011). Tout comme la Résolution de l’Organisation Internationale de la Francophonie exigeait de Laurent Gbagbo qu’il transfère immédiatement et pacifiquement le pouvoir au Président Alassane Ouattara, conforment à la volonté exprimée par le peuple ivoirien (Résolution de l’OIF, 12 Janvier 2011). Mais, Il est vrai aussi que dans sa lettre, en réponse à la demande du secrétaire général des Nations Unies, le président français Nicolas Sarkozy affirmait ceci :
"Vous m’avez écrit le 03 avril 2011 pour me demander le soutien des forces françaises aux opérations militaires que l’Opération des Nations Unies en Côte d’Ivoire (ONUCI) va conduire conformément à la résolution 1975 du conseil de sécurité pour mettre hors d’état de nuire les armes lourdes utilisées contre les populations civiles et les casques bleus. Je vous confirme que j’ai donné l’autorisation aux forces françaises, comme vous me l’avez demandé, et conformément au mandat qu’elles ont reçues du Conseil de sécurité, d’exécuter ces opérations conjointement avec l’ONUCI " (Ivorycost.info, lettre de Sarkozy, 4 Avril 2011).
Malgré ces instruments officiels, la presse française n’a pas manqué de pointer les liens
d’amitié entre le président français Nicolas Sarkozy et Alassane Ouattara comme l‘un des éléments à intégrer dans l‘analyse de l’intervention française en faveur de ce dernier pour une opération qui se voulait humanitaire :
Pendant la traversée du désert de Sarkozy (1995-1997), Ouattara était là, écrit par exemple l’hebdomadaire Jeune Afrique. Quand Ouattara a failli être tué par les hommes de Gbagbo en Septembre 2002, Sarkozy a veillé sur lui […]. Jusqu’en 2009, Sarkozy a essayé de croire en la promesse de Gbagbo de faire des élections libres. Puis il s’est lassé des manoeuvres dilatoires de son homologue ivoirien et a reçu de plus en plus souvent Ouattara, à l’heure de l’apéritif […]. Au plus fort de la crise, en mars-avril 2011, les coups de fil entre les deux hommes sont devenus quotidiens. « C’est là que j’ai vu que leur amitié avait un effet, confie un témoin. Quand le camp Gbagbo attaquait, Ouattara et Sarkozy se parlaient presqu’en temps réel, et ça leur permettait de réagir très vite, en saisissant l’ONU et en prenant une initiative militaire » (jeuneafrique.com, 26 Janvier 2011).
Comment dans ces conditions ne pas voir dans le dénouement de la crise ivoirienne qui a vu l’armée française donner des frappes sur les positions des hommes de Laurent Gbagbo, comment ne pas voir, disions-nous, un appui amical sous la couverture d’une opération humanitaire et qui a bénéficié de la sanction des Nations Unies ? Pour le président français, ce genre d’analyse ne passe pas. C’est bien pour lui l’urgence humanitaire qui s’était imposée, et la dernière partie de sa lettre adressée à Ban Ki-Moon n’a pas manqué de refléter cet état d’esprit :
"Je considère, comme vous, que la protection des civils menacés en Côte d’Ivoire est une urgente nécessité, parallèlement aux efforts politiques de l’ensemble de la communauté internationale, visant à résoudre la crise actuelle dans le respect du choix souverain du peuple ivoirien.Je vous prie d’agréer, monsieur le Secrétaire Général, l’expression de ma très haute considération" (Ivorycost.info, lettre de Sarkozy, 4 Avril 2011).
Comme on peut le remarquer, les mots de Sarkozy sont bien choisis : ‘‘ protection des civils menacés‘‘ et ‘‘ urgente nécessité ‘‘. Voilà qui permet de légitimer une action contre celui qui a des armes et qui est susceptible de mettre en danger les civils, et donc Laurent Gbagbo. Alors qu’en évoquant les ‘‘ éfforts politiques de l’ensemble de la communauté internationale ‘‘ , Sarkozy entendait rappeler le caractère désormais multilateral de l’intervention. Du moins en théorie. C’est le moins qu’on puisse dire, à l’instar de Katariina Simonen qui a analysé à la lettre, le discours officiel Français et en particulier du président Sarkozy en marge de ce conflit :
"First, he emphasized France’s role in supporting respect for democracy as a non-negotiable principle for all peoples. Second, he drew attention to the principle of responsibility to protect, which, he said, was applied both in Libya and in Cote d’Ivoire, where leaders were killing their own people. The president went so far as to say that it was an honour for the French to fight for such a just cause. Third, he emphasized that the French had taken military action in strict compliance with their commitments vis-à-vis the UN, and in support of African regional organizations" (Simonen, 2012, 367).
Pourtant, au début de la crise en 2002, lorsque le médiateur sud-africain, le président Thabo Mbeki faisait le constat que : « en tant qu’Africains, nous devons admettre ouvertement que nous n’avons pas réussi à aider les Ivoiriens à mettre un terme à la crise dans leur pays », ajoutant : « C’est précisément à cause de cet échec africain que la France est intervenue militairement, politiquement et diplomatiquement pour aider la Cote d’Ivoire. Et pourtant, cette crise est le type de défi qui requiert des solutions africaines » (Stephen Smith, 2003, 121). Cette intervention française avec les dirigeants d’alors n’était pas allée jusqu’à mettre en avant ce cadre multilatéral et africain pour sauver le régime sous la menace rebelle. Nous pensons donc que l’avènement de Nicolas Sarkozy au pouvoir en France en 2007 a changé beaucoup de chose dans ce qu’allait devenir l’opération Licorne. Le journal français Libération ne dit pas autre chose à ce sujet. Au nom d’une amitié vielle de vingt ans, le chef de l’État français ne s’est pas contenté de le rassurer, écrivait ce quotidien proche de l’opposition socialiste. Il n’a pas hésité de le « coacher », lui donnant des conseils sur la tactique à adopter pour faire plier son rival. Et quand cela n’a pas suffi, Sarkozy a ordonné à l’armée française d’intervenir pour permettre aux soldats de Ouattara, le 11 Avril, de s’emparer de Laurent Gbagbo (Liberation.fr, 26 Janvier 2012).
A partir de ce moment, une autre question se pose, celle de savoir «à quel moment faut-il faire usage de la force? ». Et c’est Jean Baptiste Jeangène Vilmer qui propose cette discussion. Faut-il comme la France de Sarkozy, agir vite pour assurer le pouvoir à un ami ? Ou, intervenir à temps pour éviter un massacre à la rwandaise comme le soutenait, Dominique De Villepin ? (ces interrogations sont les notre). Entre les deux, le bon moment que l’auteur suggère est censé déterminer le critère du dernier ou de l’ultime recours. L’article 33 de la Charte de l’ONU énumère un certain nombre des critères de moyens pacifiques de régler un conflit, rappelle-t-il. L’article 41 donne encore d’autres moyens n’impliquant pas l’emploi de la force armée qu’est susceptible d’utiliser le Conseil de sécurité des Nations Unies. Et c’est seulement si les « mesures prévues à l’article 41 seraient inadéquates ou qu’elles se sont révélées telles » que la charte des Nations Unies envisage l’emploi de la force armée comme un dernier recours dans son article 42 (Jeangène Vilmer, 2012, 104).
C’est sans doute sur ces dispositions que la France a pu s’appuyer pour arracher la Résolution 1975 qui déclenche l’assaut des troupes françaises contre l’armée ivoirienne restée fidèle au président sortant. Tous les moyens pacifiques étaient-ils réellement épuisés ? Ou bien les motivations étaient ailleurs. En finir avec Laurent Gbagbo par exemple, comme nous avons pu le voir?
C’est pour éviter ce genre d’incertitude dans l’évaluation d’une intervention humanitaire que Michael Walzer rejette le critère du « dernier recours ». Parce que, dit-il, nous ne pouvons jamais atteindre le dernier recours ou plutôt être certain que c’était bien le dernier – parce qu’il y a et qu’il y aura toujours d’autres recours à explorer, d’autres pistes dont on pourra dire qu’elles ont été négligées. La notion même du « dernier recours » est donc épistémologiquement faible (Jeangène Vilmer, 2012, 105). Tony Coady cité par le même auteur, note également qu’il y a aura toujours quelque chose, quelque alternative, qui pourrait, ou aurait dû être tentée. Meme si, Jeangène Vilmer n’est pas d’accord avec ces deux auteurs parce qu’estimant pour sa part que cette immensité de recours augmente considérablement le risque d’inertie pour qui voudrait les parcourir un à un (Vilmer, 2012, 105). Mais, dans un conflit comme celui de la Cote d’Ivoire où les intérêts de la France doivent et devaient être préservés, comment évaluer le recours à la force dont l’Opération Licorne s’est prévalue depuis sa mise en place en 2002 jusqu’à la prise du palais présidentiel par les hommes d’Alasse Ouattara en 2011 ?
Tout au long de cet article, l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire, nous a plutôt donné l’impression de s’être servie du prétexte humanitaire pour s’assurer qu’un pays de son ‘’pré-carré ‘’ et avec lequel la France a une coopération économique privilégiée, ne puisse pas lui échapper, étant donné les velléités du régime en place sous Laurent Gbagbo, à se tourner vers d’autres partenaires. Il n’est pas question pour nous ici de négliger l’ampleur de la violence qui a touché les deux camps ivoiriens et fait des nombreuses victimes. Toujours est-il que l’histoire de la France dans ce pays, les prises de positions de dirigeants français, souvent au profit de l’opposition à Laurent Gbagbo, vidaient l’urgence humanitaire de tout son contenu dans la mesure où l’opération Licorne est apparue clairement comme un des protagonistes du conflit. N’oublions pas non plus les réseaux, les amitiés entre des personnalités en France et les dirigeants africains. Ces liens qui ont du mal à être dissimilés depuis la fin des indépendances se sont exprimés une nouvelle fois de manière aussi forte à l’occasion de l’intervention Licorne.
Il y a plus de 60 ans, le conseiller à l’Élysée Jacques Foccart a fait usage de l’armée française pour sauver des régimes à Libreville, Lomé ou Bangui. Plus de 60 ans après, c’est Sarkozy qui ouvre la porte du palais présidentiel d’Abidjan à « son ami » Alassane Ouattara. Tous, en utilisant le même moyen, une intervention militaire, pourtant présentée comme humanitaire, laissant aux chercheurs, aux opinions publiques en France comme en Côte d’Ivoire, aux membres des Nations-Unies, et aujourd’hui, à nous même, un débat sans fin, celui de savoir, si l’intervention de la France en Côte d’Ivoire, a vraiment été humanitaire, sans arriver à mettre tout le monde d’accord.
Pour notre part, nous estimons que le déroulement de l’intervention militaire de la France en Côte d’Ivoire doit servir de leçon pour l’avenir. Après avoir laissé le sentiment de l’immixtion de la France dans les affaires politiques d’un pays souverain et laissé derrière, ce pays déchiré jusqu’à ce jour, il est indispensable de repenser de nouvelles méthodes d’intervention pour des conflits où s’entremêlent dispute de pouvoir et urgence humanitaire. Ainsi, puisqu’il faut sauver des vies et éviter des massacres, priorité peut être accordée au désarmement de tous les belligérants dans les deux camps (la France et l’ONU ont les moyens pour faire ce type d’actions). Ceci permettrait d’assurer premièrement la sécurité des civiles et de laisser ensuite une chance à la phase politique du conflit de se dérouler en toute sérénité, et bien sûr sous la supervision de toutes les tierces parties possible. Voilà qui, pour nous, garantira une totale crédibilité à l’intervention humanitaire.
* Bibliographie
1. Jean-Baptiste Jeangène Vilmer, «Quand intervenir ? Le critère du dernier recours dans la théorie de l’intervention humanitaire armée », Raisons politiques 2012/1 (no 45), pp. 104, 105. DOI 10. 3917/rai. 045. 0103
2. Antoine Dulin, « La gestion par la France de la crise en Côte d’Ivoire, de Septembre 2002 à Avril 2005 », Institut d’Études Politiques de Lyon, Séminaire de Relations internationales 2004-2005, pp. 2, 3,3,27,15,47,22,23.
3. Ruth Marshal, « La France en Côte d’Ivoire : l’interventionnisme à l’épreuve des faits », Politique Africaine 2005/2 (No 98), pp. 23, 25.
4. Katariina Simonen, « Qui s’excuse s’accuse…An analisys of French justification for intervenir in Coted’Ivoire», 2012, International Peace keeping, http://dx.doi.org/10.1080/13533312.2012.696387
5. Danièle Domergue, « Coopération et intervention militaire en Afrique : La fin d’une Aventure ambiguë ? », Guerres mondiales et conflits contemporains, No 191, Dossier Renseignement et manipulation dans les guerres contemporaines : Angleterre-Indochine-Algérie (Octobre 1998), pp. 118, 127.
6. Jean Pierre Bat, « Le rôle de la France après les indépendances. Jacques Foccart et la paix gallica », Afrique contemporaine 2010/3 (235), pp. 43, 47.
7. Stephen Smith, « La politique de l’engagement de la France à l’épreuve de la Cote d’Ivoire», Politique africaine 2003/1 (No 89), pp. 120, 121.
8. Bruneau Charbonneau, « Faire la guerre pour un Mali démocratique : l’intervention militaire française et la gestion des politiques contestées », Université Laurentienne, Revue canadienne des sciences politiques, Septembre 2014, pp. 602, 603.
8. Résolution 1464 du Conseil de sécurité de l’ONU du 4 Février 2003, www.onuci.org
9. Résolution 1975 du conseil de Sécurité de l’ONU du 3 mars 2001, www.un.org
10. Résolution de l’Organisation Internationale de la Francophonie du 12 Janvier 2011, www.francophonie.org
11. www.jeuneafrique.com , « Cote d’Ivoire – France : Ouattara et Sarkozy, comme les doigts de la main », publié le 26 Janvier 2012, consulté le 12 Décembre 2015.
12. www.ivorycost.info , lettre de Sarkozy adressée à Ban Ki-Moon, consulté le 9 Décembre 2015.
13. www.liberation.fr , « Ouattara et Sarkozy, des copains d’abord », publié le 26 Janvier 2012, consulté le 10 Décembre 2015.
Alternance démocratique en Afrique centrale : entre l’illusion de la rue burkinabè et le triomphe du paradigme hégémonique
Par Yvon Muya, Maitrise encours en Étude des Conflits
Le triomphe de l’hégémonie. C’est en ces cinq petits mots qu’il faut résumer la situation politique encours dans la sous-région de l’Afrique Centrale. Généralement utilisé dans le champ des Relations Internationales, le concept de paradigme hégémonique n’avait jamais trouvé son sens en politique intérieure comme c’est le cas dans la crise constitutionnelle qui agite l’Afrique des grands lacs à l’aune des fins des mandats présidentiels au Burundi, au Rwanda, dans les deux Congo et la liste peut encore s’allonger. Cette réflexion n’entend pas s’immiscer dans le débat qui est d’ailleurs fort avancé, notamment à propos de la question du troisième mandat. Nous n’allons pas non plus prendre parti pour un camp contre un autre. L’objet de cet essai est simplement de contribuer à la compréhension des enjeux dans cette partie du continent. Chacun pourra ainsi se faire sa propre opinion.
Avant d’aller plus loin, il nous faut d’abord préciser deux mots : paradigme et hégémonie. Il existe plusieurs définitions du concept de paradigme qu’il ne faut évidemment pas confondre avec une théorie scientifique. Pour cette analyse, nous prendrons la définition de Jean-François Rioux. Pour ce professeur de l’histoire de résolution des conflits, le mot paradigme désigne une image intellectuelle plus ou moins systématique, cohérente et consistante de ce qu’est l’univers(1). Dans le cas qui nous intéresse, l’univers ici, ce sont les pays de la région qui sont agités par la crise constitutionnelle. Et comme le dit l’auteur, à l’intérieur d’un paradigme, plusieurs éléments (rivaux) peuvent coexister et de ce fait, permettre de bien l’analyser. C’est ainsi que nous pouvons avoir à l’intérieur de notre paradigme, les États (le Burundi, le Rwanda et les deux Congo), les acteurs (chefs d’États en poste, opposants, société civile), les classes sociales et les institutions. Autant dire qu’au sein d’un tel ensemble, il ne peut régner qu’un climat de concurrence, voire d’adversité, de manière à savoir quelle perspective est fondamentale pour offrir un nouveau paradigme et stabilité à la région : Institutions fortes ou hommes forts ? Telle est la question qui agite Bujumbura, Kinshasa et Brazzaville voici maintenant plusieurs mois. Face à face donc, la puissance de l’État (paradigme hégémonique) et les oppositions (paradigmes contestataires) souvent épaulées par la masse populaire.
À propos de l’hégémonie justement, Pierre Berthelet évoque, pour la définir, la vision des partisans de la théorie critique. Ceux-ci estiment que la classe dirigeante s’impose non seulement par le contrôle de l’appareil coercitif, mais aussi par son emprise sur les institutions, sur la propagation des valeurs et de visions du monde (2). Les assassinats quotidiens à Cibitoké, un quartier contestataire de Bujumbura, est évocateur à ce sujet. En effet, après la réélection jugée illégale de Pierre Nkurunziza, les forces de l’ordre, aux ordres du pouvoir règlent les comptes, accuse sans arrêt l’opposition sur les médias étrangers. La radio et la télévision publique (sous contrôle du régime) ne diffusant que la version présidentielle. Comment ne pas aussi évoquer le parlement du Congo Brazzaville qui a, en un temps record, fait sauter le verrou de limite d’âge et de deux mandats pour permettre à Denis Sassou Nguesso de briguer un troisième, au moment où à Kinshasa la Cour constitutionnelle suspendait le processus électoral jusqu’à l’élection des gouverneurs des provinces. Institutions aux ordres, dénoncent opposants et société civile de deux cotés du fleuve, confirmant exactement l’attitude appropriée des forces de contestation face à l’hégémon qui contrôle tout. Pourtant dans la droite ligne d’Antonio Gramsci, Robert Cox, adepte de la pensée marxiste, juge peu efficace une telle domination (hégémonie) ‘’assise sur la coercition ouverte et la menace explicite (emprisonnement des opposants, poursuites judiciaires).
Pour Robert Cox, la classe dominante acquiert un pouvoir hégémonique sur les classes dominées que si ces institutions (société civile, parti politique) ne remettent pas en cause son pouvoir...(3). Mais que peut bien changer la formule ‘’Sassoufit’’ !, ce slogan qui a su habilement détourner le nom du président du Congo Brazza ? Que peut bien faire ce ‘’défoulement’’ censé exprimer le ras-le-bol après 30 ans de pouvoir. La question vaut la peine d’être posée. Car comme dans le champ des Relations internationales où les États jouent leur survie ainsi que le rappelle Jean-François Rioux, les pouvoirs n’ont que peu de cas pour les autres acteurs. Dans cette jungle, écrit l’auteur, la survie devient le but fondamental. Les État calculent rationnellement leurs coups pour maximiser leurs ressources de puissance (4) . Si dans le système international les groupes terroristes et toute autre forme de menace sont visés par cette affirmation. Dans le cas qui nous intéresse, le pouvoir contesté n’hésitera pas à se donner tous les moyens pour interdire des manifestations jugées insurrectionnelles (Burundi) ou « pour des raisons de sécurité » comme en a appris à ses dépens le G7 au Katanga en RD Congo, interdit de manifester jusqu'à nouvel ordre.
Il faut ajouter à tout cela la position de la Communauté internationale, toujours déterminante pour faire pencher la balance dans un sens comme dans un autre dans ce genre des situations (On a encore en mémoire la chute de Laurent Gbagbo en 2011). Si à Kinshasa, les appels des États-Unis se sont multipliés pour des élections dans les délais constitutionnels, Washington ne peut pas en revanche faire davantage face à une situation qui se bloque au fur et en mesure que les jours passent. Résultat, la Maison Blanche se contente désormais d’appeler tous les partis congolais à dialoguer. À Brazza, l’élan populaire a de son côté reçu un coup de massue signé François Hollande. En plein débat sur le referendum controversé, le président français n’est pas allé par le dos de la cuillère pour reconnaitre à son homologue de la République du Congo ‘’son droit de consulter son peuple’’. L’odeur du pétrole sent beaucoup mieux que le sang des manifestants tombés dans la répression des forces de l’ordre. Pas d’indignation non plus de la gauche au pouvoir à Paris comme ce fut le cas quand Nicolas Sarkozy s’en prenait en 2007, depuis Dakar, à l’homme noir, qui ne serait pas encore entré dans l’histoire.
À partir de ce moment, une autre question, une dernière, mérite d’être posée. À quoi aura servi l’insurrection populaire au Burkina Faso ? Le 30 Octobre 2014, un an jour pour, lorsque les Burkinabès chassaient leur président, l’Afrique noire s’est mise à rêver à son tour, de vivre son propre « printemps noir ». Accusé des mêmes griefs que ceux reprochés à ses homologues de l’Afrique Centrale, Blaise Compaoré qui voulait modifier la constitution afin de briguer un 3e mandat n’aura tenu qu’une seule journée. En 24 heures seulement, la rue a balayé 27 ans de pouvoir. Mais depuis, le mouvement que beaucoup voyaient contaminer rapidement tout le continent en raison du débat intense sur la révision constitutionnelle, n’a jamais dépassé les limites du sahel. Il a même failli, de peu, subir la confiscation à la suite du putsch manqué du 17 Septembre 2015 mené par le général Diendéré. Dans les capitales de l’Afrique centrale, Blaise Compaoré, le seul à avoir tenu tête à Barack Obama et sa doctrine d’institutions fortes, semble avoir servi de cobail. Entre prudence (pas de confrontation) et fermeté (répression) Bujumbura, Kinshasa et Brazzaville ont su contenir la contestation. Pour Kigali, l’hégémon est très fort. Tellement fort qu'il n'y a pas eu grand chose à faire. La consécration de Paul Kagamé pour des dizaines d’années encore se fait sans beaucoup de peine. L’opposition étant quasi inexistante au Rwanda, l’Assemblée nationale a adopté une révision de la loi fondamentale qui peut maintenir en théorie le chef de l’État en poste jusqu’en 2034.
Que reste-il maintenant aux opposants, aux populations et à la société civile, partisans de l’alternance. Pas grand-chose à ce stade que de constater l’implacable réalité : Au Burundi, malgré les meurtres quotidiens, Pierre Nkurunzinza reste aux commandes. Le retrait du pays de l’Agoa par les États-Unis risque de ne rien changer. La Chine et l’Inde sont d’autres marchés que le président évangéliste n’hésitera pas d’aller explorer. Pour Denis Sassou Nguesso, le soutien de la France est sans ambiguïté. Le géant pétrolier français ‘’Total’’ qui a promis en 2013 d’investir 10 milliards de dollars dans le pays avec une production de 140 mille barils par jour à partir de 2017, peut encore avoir des beaux jours devant lui. Au Rwanda, en dehors de la bonne santé économique (croissance prévue à 7,5 en 2015 et 2016), Paul Kagamé est l’assurance stabilité d’un pays encore traumatisé par un des pires massacres les plus violents que le monde moderne ait connu. Face à ce tableau qui cerne quasiment le congolais Joseph Kabila, difficile de pronostiquer l’avenir politique à Kinshasa. Reste que cette étude l’a démonté, le paradigme hégémonique l’a emporté partout en Afrique centrale face à l’effet Burkina Faso qui ne sera resté que simple illusion…pour l’instant.
1. Jean-François Rioux, « le néo-réalisme ou la formulation du paradigme hégémonique en Relations internationales », Études Internationales, Vol. 1, 1988, pp. 57, 65
2. Pierre Berthelet, « Chaos international et sécurité globale », Éditions publiques Université, books.google.ca, p. 172.
3. Jeune Afrique Économie du 22 Mars 2013, sur l’investissement de Total au Congo Brazzaville
4. Perspectives Économiques en Afriques, rapport 2014
Fronde contre le président : Lyndon Johnson-Joseph Kabila, portrait croisé
C’est l’histoire de deux présidents qui se sont séparés de leurs collaborateurs les plus stratégiques de leur dispositif. L’un a dirigé la première grande puissance mondiale, l’autre, dirige le pays le plus important de l’Afrique Centrale. Leur point commun, être arrivé au pouvoir dans les conditions quasi similaires, après une tragédie.
En 1963, le président John F. Kennedy est assassiné, Lyndon B. Johnson, alors vice-président, accède à la Maison Blanche. Le 16 Janvier 2001, Laurent Désiré Kabila meurt abattu dans sa résidence à Kinshasa, Joseph Kabila entre au Palais de la Nation. En pleine guerre froide, la présidence de Johnson est agitée. Il doit faire face au bloc soviétique. Idem pour Joseph Kabila qui hérite de ce que les spécialistes ont qualifié de troisième guerre mondiale, celle dont la République Démocratique du Congo est victime et qui implique les grandes puissances aux côtés des pays de la région.
Présidence agitée également sur le plan intérieur. Car c’est sous Lyndon B. Johnson que les violences raciales atteignent les sommets avec notamment l’assassinat le 4 Avril 1968 du militant des droits civiques Martin Luther King. Le 2 Juin 2010, la RDC de Joseph Kabila perdait aussi un activiste des droits de l’homme, Floribert Chebeya, tué alors qu’il venait de rencontrer le chef de la Police Nationale. Malgré la guerre, Lyndon Johnson est présenté comme l’un des présidents réformateurs que les États-Unis aient connu. Parmi ses programmes phares, le « Great Society ». Un dispositif comprenant des lois sur la protection des droits civiques, mais surtout l’aide à l’éducation et la protection de l’environnement. À son effectif aussi, le Medicare, l’assurance maladies pour les américains. Joseph Kabila n’ira pas jusque-là, mais il restera le président qui aura introduit dans le vocabulaire congolais les expressions « 5 chantiers » ou encore la révolution de la modernité. Des programmes grâce auxquels des routes, hôpitaux et bâtiments administratifs sont construits, même si cela reste limité dans un immense pays qu’est le Congo Kinshasa.
Lyndon Johnson, Joseph Kabila, deux présidents au caractère difficile. L’américain est présenté comme un président dominateur qui n’hésitait pas à s’imposer, y compris physiquement pour faire passer des lois au Congrès. Plus calme, mais tout aussi ‘’autoritaire’’, à plusieurs reprises, Joseph Kabila a su taire la fronde dans ses rangs sans faire trop de casses jusqu’à ce 16 Septembre 2015 lorsqu’il prend une ordonnance pour révoquer son conseiller spécial à la sécurité, coupable d’avoir osé, avec ses camarades du G7, rappeler au président, le respecter de la constitution, les échéances électorales dans le délai constitutionnel et l’alternance politique. En 1967, la guerre du Vietnam est plus que jamais impopulaire. Les États-Unis vivent au rythme des manifestations exigeant le retour à la maison de 500 mille Marines. Lyndon Johnson se sépare de son emblématique ministre de la Défense Robert McManara. Son péché, avoir suggéré au président d’entamer le désengagement du Vietnam et de mettre fin à une guerre devenue encombrante. Ni le talent de McManara, ni sa longévité (ministre de la Défense de 1961 à 1967) n’y auront rien changé. Le président est déterminé à poursuivre sa guerre. Pierre Lumbi et ses amis en apprendront sans doute davantage.
Quand on est en désaccord avec le président, soit on se tait, soit on se casse, dirait l’ancien ministre et candidat à la présidence française Jean Pierre Chevènement. Comme quoi, en se séparant de ses collaborateurs, Joseph Kabila n’a pas inventé la roue. Reste à savoir si ce parcours presqu’identique entre le président congolais et le successeur de John F. Kennedy ira jusqu’au bout. Arrivé à la fin de son mandat en 1969, Lyndon Baines Johnson se retire dans son Ranch de Johnson City à Texas. A Kinshasa, l’avenir du chef de l’État fait encore débat.
Yvon Muya
«Vous vous souviendrez de nous», ce cri de cœur dont on a jamais parlé
C’est une déclaration que je retiens captive voici maintenant deux ans et qui commence à m’intriguer. La tournure que prend la situation politique en RDC et le silence de Joseph Kabila à propos duquel les éditoriaux tant sérieux que drôles sont bombardés au quotidien, arrivent de plus en plus à renforcer l’idée que la plupart d’analyses et des stratégies portant sur « 2016 », risquent toutes, de passer à côté de la plaque.
Nous sommes en 2013. Le tout nouveau gouverneur du Bas Congo Jacques Mbadu vient d’être élu. Avec nos équipes, nous sommes conviés à faire une série des reportages sur la province. Mais c’est une autre actualité qui s’imposera à l’agenda. Une personnalité' de grande importance doit en fait traverser la province jusqu’à Boma. Du coup, toute l’attention ne sera portée que sur elle. Bain de foule, meetings improvisés, nous devons suivre le rythme.
Proche. Très proche du palais présidentiel et c’est un euphémisme que de le dire ainsi, la parole de l’hôte surprise du future Congo Central n’est donc pas n’importe quelle parole. Elle est à prendre au sérieux (vous aurez déjà compris de qui il s’agit). Devant des foules nombreuses, de Kisantu à Boma en passant par Kimpese, partout, la passagère de marque des Ne-Kongo n’a cessé de répéter ces mots : « Bo kokanisa biso ». Vous vous souviendrez certainement de nous, avant de balayer les rumeurs qui l’annonçaient elle-même sur la ligne de départ en vue de la prochaine présidentielle. « Ekomi o’ aza candidat, n’importe quoi », s’était-elle indignée. Voilà qui fut dit !
SILENCE, ICI JOSEPH KABILA TRAVAILLE POUR L’ALTERNANCE ?
Deux ans passés, je me rends compte que ces propos, tenus sans aucune préméditation, avaient tout d’une grande sincérité. Car voici, depuis que la crise a éclaté et les soupçons contre le chef de l’État, accusé de chercher à se maintenir au pouvoir, l’intéressé n’a jamais vraiment rien dit sur ce dont on l’accuse. Sa position est-elle différente de celle qu’affichent officiellement les ténors de la majorité ? Il est possible que la réponse à cette question soit, oui. En témoignent les toutes premières déclarations dans les rangs de la MP et non de moindre. Mars 2014, interrogé sur Rfi sur les craintes de voir le chef de l’État s’accrocher à son poste, le porte-parole du gouvernement Lambert Mende Omalanga répondait alors sans ambages qu’il y aura en 2016, un « passage de flambeau civilisé ». On ne fait pas une telle déclaration sur une radio internationale sans avoir pris toutes les précautions. Tout comme quelques mois plutôt, en Octobre 2013, lorsque le président de l’Assemblée Nationale et Secrétaire générale de la MP Aubin Minaku lâchait sur la même station que la Constitution serait respectée et que le président partirait après les élections de 2016.
Comment alors justifier le volte-face des uns et des autres qui a suivi toutes ces déclarations ? L’entourage du chef, sentant le danger de perdre les privilèges approcher, serait-il à la manœuvre ? Nombre des congolais le pensent et en ont pour preuve cette série d’évènements : livre sur la révision constitutionnelle, projet de recensement populaire, révision de la loi électorale, découpage territorial, saga Kin Kiey Mulumba, etc. Sans oublier un calendrier électoral intenable.
JOSEPH KABILA PRÊT POUR ENTRER DANS L’HISTOIRE
Alors qu’il est accusé de manœuvrer afin de rester au pouvoir au-delà de la fin constitutionnelle de son dernier mandat. Ce, alors même qu’il ne s’est jamais prononcé sur ce sujet, exerçons-nous, nous aussi à le « soupçonner » de vraiment vouloir quitter le pouvoir de manière totalement « civilisée ». Si ses détracteurs s’appuient sur toutes les manœuvres précédemment évoquées pour se convaincre de la volonté de l’actuel locataire du Palais de la Nation de s’y accrocher, le cri de cœur de la visiteuse de marque du Bas Congo (rappelons-le : Bo kokanisa biso), est aussi là pour prouver le contraire.
Aujourd’hui, à l’initiative d’un dialogue national, Joseph Kabila cherche-t-il à oublier toutes ces sirènes anti-alternance qui chantent l’homme compétent et l’homme providentiel à souhait ? Ici encore, des affirmations vont dans tous les sens, dénonçant un dialogue visant à consacrer une présidence à vie. Selon nos informations, il n’en est rien de tout cela. Joseph Kabila serait plutôt animé par le souci de ne pas laisser un « déluge » derrière. Un pays où la guerre de succession reste faire rage. Bref, un pays ingérable. D’où la nécessité de ce dialogue. Dialoguer pour organiser des élections apaisées nous dit-on. Le chef de l’État va-t-il pour cela compter sur Etienne Tshisekedi ? Vainqueur autoproclamé de la présidentielle de 2011, le chef de fil historique de l’UDPS qui n’a cessé de réclamer « son impérium », semble être aujourd’hui l’allié incontournable pour sortir le pays de la crise. Et imaginez l’affiche. « Le père de la démocratie » et « le refondateur de la démocratie » congolaise, cote à cote pour investir un nouveau président élu. Comment ne pas se souvenir éternellement d’une telle issue. À moins que le dicton « en politique, ce n’est pas ce qu’on dit, mais ce qu’on fait », vienne me rappeler la réalité et me redescendre sur terre.
Yvon Muya
Crise en RDC : Le discours politique et la tentation du constructivisme
Professeur associé au département de science politique de l’Université de Laval(Québec), Anne-Marie Gingras l’a bien écrit : « pendant la période électorale, les hommes politiques font souvent recours aux métaphores pour passer le message ». Le sport, la guerre ou encore la météo, sont autant des secteurs dans lesquels les personnalités publiques vont se ressourcer afin d’alimenter leurs discours. Question de ne pas surtout rater leur cible. « La vague bleue » par exemple en France, a toujours eu pour but de mobiliser la droite en vue d’une domination du parti de Nicola Sarkozy à l’assemblée nationale. Au moment où aux États-Unis, les candidats se disputent au fil des meetings, l’incarnation du « commander in chef ». Ce commandant en chef qui peut rassurer l’Amérique et à qui les américains doivent confier les clés de la Maison Blanche.
Inspiré par la théorie de la construction de la connaissance par le sujet (ici l’électeur, la population), théorie émise au 18e siècle par Emmanuel Kant, le constructivisme est donc cette approche qui veut que la réalité telle qu’elle nous est présentée par le discours politique, n’est pas vraiment le reflet de cette réalité elle-même. Elle est plutôt le produit de l’esprit (notre esprit) en interaction avec l’image qui nous est présentée. C’est de cette façon qu’un Obama, sénateur certes, mais d’abord simple professeur de droit pouvait devenir facilement aux yeux des américains, le commandant en chef. En 2012, l’image bling-bling collée à Sarkozy (président des riches) ne lui a laissé aucune chance. Quand la communication politique construit ou déconstruit les images dans les esprits…
En République Démocratique du Congo, la campagne présidentielle est à ce jour incertaine. C’est la crise politique qui est au cœur du discours public et de la construction du message. Kin-Kiey Mulumba, encore lui, en a évidemment fait la démonstration lors de sa sortie choc le jeudi dernier. Dans son opération de vente de l’homme providentiel, le ministre en charge des relations avec le parlement a eu recours d’abord à deux images : l’envie et la guerre. « Nous disons qu’il y a une réelle envie de Kabila », a-t-il lancé sur Rfi.
L’envie. Ce sentiment que le président de « Kabila-désir » propage depuis déjà plusieurs mois, prenait une autre dimension dans cette Interview. Avec en appui un Congo sur la voie de la prospérité grâce à l’impulsion du chef de l’État, Kin-Kiey Mulumba entendait bien graver dans les esprits de ceux qui doutent encore, que ce besoin (cette envie) de développement, les congolais le ressentent et ils ne le voient pas trouver satisfaction avec un autre. « Il faut expliquer aux gens(…) qu’ils comprennent que le besoin de paix est important. S’il n’y a pas de stabilité, on ne peut rien construire ». Intervient alors la deuxième image : la guerre. En parlant de la paix, le ministre invite indirectement les congolais à trouver par eux même le contraire de ce mot. La guerre bien entendu. Elle éclaterait au cas où une troisième chance n’était pas accordée au chef de l’État. En laissant construire l’image terrifiante de la guerre, Kin-Kiey Mulumba veut bien croire que c’est porteur. Champion de la pacification du pays, un Joseph Kabila écarté est donc pour lui le levier qu’il faut utiliser. Il est question pour lui de remettre les images des atrocités dans les esprits des congolais. Mais qui d’autre que Joseph Kabila pour être ce garent de la paix? Les hommes d’exception, ça ne vient pas tous les dix ans, répond l’ancien mobutisme. Et comme sur une superficie de plus de 2 millions de km2 il n’y a pour lui qu’un homme d’exception, le chef de file du Parti Action devait trouver une formule pour imager cet «espace vide d’hommes d’exception » et il a trouvé : « Nous n’avons pas un stock des compétences ». La phrase qui lui collera sans doute indéfiniment à la peau pour tout le reste de sa carrière politique.
Si Kin-Kiey Mulumba avait des images à construire ou laisser construire dans les esprits des congolais, en guise de réponse, dans le camp adverse, c’est l’opération déconstruction qui a été tout de suite déclenchée. Sur Rfi, la Secrétaire Générale du MLC Ève Bazaiba s’est d’abord chargée d’enlever des esprits l'image que seul Joseph Kabila peut garantir la paix. « Le fait pour lui de rester au pouvoir au-delà de son deuxième et dernier mandat, conformément à la constitution, constitue une cause d’insécurité », a-t-elle assené. Voilà la « peur » et de la « guerre » de nouveau agitées, mais dans l’autre sens cette fois-ci. De son coté, pour déconstruire l’opération de communication de Kin-Kiey Mulumba, le coordonnateur de la Société Civile Jean Bosco Puna a quant lui choisi la dramatisation : « c’est une déclaration de guerre », a-t-il déclaré, tel un appel à la mobilisation.
La métaphore dans le langage public, a, en effet, alimenté le débat politique en RDC ces derniers mois et lors de deux dernières présidentielles. On se souvient encore du « 3e faux penalty » et de « l’envahissement du terrain par les supporters » largué par Moise Katumbi en Février 2015. Un 3e pénalty qui sous entendait le 3e mandat illégal qui provoquerait des troubles. En 2006, pour éviter le face à face télévisé entre Joseph Kabila et Jean Pierre Bemba, Vital Kamerhe, alors Secrétaire General du PPRD, n’avait pas hésité à dépeindre le Chairman comme un « fauve » capable de bondir sur le président en plein débat. L’idée était de remettre dans les têtes des congolais l’image d’un homme violent qui pouvait en rappeler un autre : le Maréchal Mobutu.
En proie au Mouvement djihadiste de l’État Islamique, les occidentaux ont longtemps tâtonné avant de trouver une parade. Embêtés par le fait de combattre un groupe terroriste, mais qu’ils nommaient quand même « État ». Ce qui lui conférait un caractère légitime. Ils ont donc choisi de lui construire une image négative. C’est à l’ONU en Octobre 2014 que la coalition internationale a choisi d’appeler le mouvement terroriste par les initiales « DAECH ». Contrairement à « l’État Islamique », DAECH qui signifie pourtant la même chose en arabe, entend (c’est ce qu’ont voulu les puissances occidentales) inscrire dans l’esprit de l’opinion occidentale « un groupe d’égorgeurs » qu’il faut supprimer à tout prix. Ce qui a suffi à tous ces pays de bénéficier de l’adhésion de leurs peuples à cette nouvelle guerre.
C’est cette même manipulation de l’image et des esprits qui continuera à alimenter le débat politique dans cette crise qui est loin d’être terminée en RDC. Là où Kin-Kiey Mulumba verra en Joseph Kabila l’unique « compétent » qui peut assurer le développement du pays, Ève Bazaiba y verrait elle plutôt, « moins de 1% de la population qui a accès à l’eau potable et à l’électricité ou encore des inaugurations des œuvres réhabilitées par les ONG et non par le chef de l'État». Mais elle évite soigneusement d'évoquer l'aéroport de Ndjili, le batiment intelligent ou encore les routes qui font partie malgré tout du bilan positif de Joseph Kabila. A coté de la lutte de pouvoir, il aussi la guerre de communication.
Yvon MUYA
Immigration : le retour des murs de la honte et…leur illusion
C’est un véritable casse-tête auquel est confrontée l’Europe. Depuis le début de l’année,
le vieux continent fait face à une arrivée massive des migrants. Des refugiés
qui fuient la guerre en Syrie, mais surtout, des africains qui se sauvent de la
guerre et de la misère. Casse-tête pour les européens, drame pour ces
infortunés. Selon l’Organisation Mondiale des Migrations, près de 1800
personnes cherchant à gagner l’Europe ont péri en méditerranée depuis Janvier. Un bilan sans
doute sous-évalué vu le nombre des bateaux bondés qui ont fait naufrage ces
derniers mois. Pris à la gorge, les dirigeants européens cherchent comment s’en
sortir et le sujet divise.
Alors qu’en France Nicolas Sarkozy a comparé l’afflux des migrants à une fuite d’eau que le ‘’réparateur’’, à savoir l’Union européenne, a du mal à résoudre. Une métaphore de la plomberie qui a suscité une vague d’indignation au sein de la gauche au pouvoir, alors que l’Italie, principale porte d’entrée, accablée par la demande incessante des nouveaux arrivés, menace de les laisser envahir l’Europe si rien n’est fait, la Hongrie elle, n’y va pas avec le dos de la cuillère. Pour empêcher les migrants qui sont passés de 2000 en 2012 à 54 000 depuis Janvier 2015, pour les empêcher donc de continuer à gagner son territoire, le pays de Viktor Orban a décidé le mercredi 17 Juin 2015, tout simplement, de fermer sa frontière avec la Serbie et de construire un mur anti-immigration. une mesure fortement critiquée, mais loin d’être une première ni la seule.
Si le fantôme de Berlin pouvait parler…
Il est loin, très loin, ce jour du 9 Novembre 1989 où le mur de Berlin tombait. Ce mur, le plus célèbre de l’histoire de l’humanité. Tristement célèbre parce que ‘’mur de la honte’’. Parce que lui aussi, en son temps, avait été érigé pour empêcher l’exode croissant des habitants de l’une des deux Allemagnes ‘’ennemies’’, la RDA vers l'autre moitié du pays, la RFA. Déjà à l’époque, deux explications du mur se sont affrontées. Ce qui était aux yeux des Allemands de l’Ouest, le mur de la honte, était plutôt une arme de protection antifasciste pour le gouvernement Est-allemand. Que l’histoire est un éternel recommencement ! Plus de 25 ans après, la Serbie, pays de transit des milliers des migrants, se dit choquée par la décision de son voisin hongrois, au moment où l’extrême droite hongroise salue une décision susceptible de protéger l’identité des hongrois contre ces populations venues d’ailleurs. Si cette initiative hongroise est sous le feu de l’actualité, autour de l’Europe les murs ont existé depuis bien longtemps sans forcément stopper les candidats vers l’eldorado européen. En 2001 par exemple, l’Union Européenne et l’Espagne n’ont pas hésité à débloquer pas moins de 30 millions d’Euro pour construire un mur aux larges de l’ile espagnole de Ceuta, porte d’entrée pour les candidats à l'exil qui passent par le Maroc . Un mur et du gaspillage pour rien car selon l’Organisation Mondiale de l’Immigration, malgré le risque, le naufrage à répétition des bateaux et le chaos en Lybie, ils seront 500 mille à tenter la traversée avant la fin de 2015.
Murs physiques et murs invisibles, même discrimination, même illusion
Pourtant le mal est profond. Le mal que personne ne voit à l’œil nu, mais qui fait davantage des dégâts que ces murs physiques tant décriés. Dans son article intitulé « la Barrière et le Checkpoint, mise en politique de l’asymétrie », Evelyne Ritaine, directrice des Recherches à l’Université de Bordeaux, pointe ce malaise d’une manière particulièrement exceptionnelle. Et il n’y a pas que l’Europe qui est concernée. Les États-Unis et (on ajoutera le Canada), n’ont-ils pas mis en place un système des murs invisibles jusque sous notre nez. Pour accepter les immigrants chez eux, les deux grandes puissances américaines choisissent. Ne peut franchir ‘’le mur du visa'', que celui qui répond aux critères, à leurs critères. Avec ce genre de mur(le visa), l’immigrant, non diplômé, sans liens économiques et sociaux solides, n’a même pas besoin de se déplacer pour entendre se faire signifier qu’on ne veut pas de lui. C’est chez lui, dans son propre pays qu’il est disqualifié. Il ne fait pas partie de ce que l’on recherche de l’autre côté du pacifique ou de la méditerranée. L’immigration choisie et non subie d'un certain Nicolas Sarkozy raisonne encore dans les esprits. Un paradoxe face à l’idée même de la mondialisation qui veut croire à un monde globalisé et globalisant. Les pionniers de la mondialisation étaient-ils, eux mêmes, animés de bonne foi. Mais c’était sans compter avec le terrorisme, le racisme, bref le refus de l’autre qui rend finalement vide de sens ce concept d’un citoyen, un monde.
Ainsi que le rappelle si bien Evelyne Ritaine, l’espace censé être global est quasiment devenu une « zone frontière ». Une zone où dominent les peurs d’attentat et les incertitudes, où l’on redoute toujours la menace de voir son travail être récupéré par ce migrant beaucoup plus diplômé que l’enfant du pays . Et si par chance, vous êtes accepté du côté du mur où il y a la lumière, une autre question pourra toujours se poser, celle de vote passeport. Une fois arrivé à la porte d’entrée du « paradis », que vaudra ce document du sud face aux clichés et aux ressortissants des « pays respectables » (France, États-Unis, Canada, Grande Bretagne, etc.) ? Dans les aéroports, les checkpoints et autres dispositifs ultra sophistiqués sont mis en place pour assurer la sélection. l'interrogatoire auquel est soumis le voyageur guinéen n'est pas toujours le même que celui réservé à son voisin canadien pourtant débarqué comme lui du même avion. Le canadien a tout simplement un bon passeport,... et les exemples sont légion.
Mais malgré ces dispositifs et ces murs dont beaucoup s’inspirent encore aujourd'hui, les intellectuels africains sont nombreux à mettre en garde : occident et nous, assènent-ils, partageons un même destin. C’est ensemble que nous nous en sortirons, et/ ou... nous nous écroulerons. Preuve qu’aucun mur ne peut suffire pour assurer la tranquillité éternelle à l’occident , pas plus tard que ce vendredi 19 Juin 2015, deux clandestins, accrochés sur les trains d’atterrissage d'un vol Afrique du Sud-Londres, ont réussi à voyager jusque dans la capitale britannique ,avant que l’un de deux courageux ne périsse sur les toits de l’aéroport d’Heathrow. C’est tragique, mais le message est là, ces deux-là, n’ont pas eu besoin d’escalader un mur pour fouler le sol européen, mort ou vif.
Yvon MUYA
Burundi : ces palais qui vacillent devant la dure réalité de l'histoire
La chute du président burundais Pierre Nkuruziza ce mercredi 13 Mai 2015 est venue rappeler une réalité que les esprits avertis ont sans doute déjà remarquée : Chaque époque a toujours ses pages d’histoires à écrire. Nul ne peut l’en empêcher.
Le bras de fer entre Pierre Nkuruziza d’un côté, la société civile et l’opposition politique burundaise de l’autre, contre un 3eme mandat présidentiel jugé illégal, venait en fait gonfler les rangs d’un débat sur le respect de la constitution bien saturé sur le continent. En octobre 2014, un poids lourd, Blaise Compaoré se brulait déjà les ailes, chassé de Ouagadougou par la rue, après sa course effrénée vers une nième candidature. L’échec de la révision de la constitution a été fatal pour celui qui régnait en maitre sur la Haute Volta depuis 27 ans. Lui qui passait pourtant pour le vieux sage de la région.
Le Burundi n’est pas le Burkina…
Cet avertissement n’a pas pourtant découragé les stratèges à Kinshasa ou encore à Bujumbura où les pouvoirs en place sont soupçonnés de vouloir s’accrocher au-delà des mandats qui s’apprêtent à expirer. Le Burundi n’est pas le Burkina, n’ont cessé de clamer les soutiens du régime à Bujumbura. Mais le vent qui souffle sur l’Afrique noire est d’une telle violence que les choses ne vont pas se passer comme ces derniers les envisageaient. Il est vrai que les burkinabè s’étaient mobilisés par centaines des milliers. Ailleurs, la mobilisation est restée faible, mais la dynamique du mouvement restée la même. C’est sans doute cela qui explique le fait qu’en Janvier 2015, quelques centaines des kinois seulement ont fait reculer la Majorité Présidentielle sur le projet de loi électorale censée, selon l’opposition, favoriser la prolongation du mandat de Joseph Kabila au-delà de 2016. A Bujumbura, les manifestants qui ont pollué la vie à Nkuruziza, cantonnés dans les périphéries de la capitale par les forces de l’ordre, arrivaient à peine à atteindre le centre-ville. Mais cela a suffi à donner du courage à un général pour bloquer l’ancien maquisard hors frontières du Burundi. A chacun sa méthode donc, mais pour le même résultat : sauvegarder la loi fondamentale et la démocratie.
Lorsque le monde arabe s’ébranlait avec son printemps qui a emporté tour à tour Ben Ali en Tunisie, Hosni Moubarak en Égypte et Mouammar Kadhafi en Lybie, sans oublier les Assad et Saleh en Syrie et au Yémen, resté à la tête des pays qui n’ont rien d’autre que des véritables poudrières. Suite à ce printemps arabe qui ne s’est pas interrogé de la capacité de l’Afrique noire à oser défier les présidents à vie ? Il était visiblement juste question de temps. L’histoire ne s’est jamais bousculée elle-même.
Au lendemain de la Perestroïka qui aboutit en 1989 à l’effondrement de l’Union Soviétique, puis à la fin de la guerre froide, le vent des conférences nationales souffle sur le continent africain. Les régimes dictatoriaux pour la plus part, en place depuis les indépendances, d’autres, issus des coups d’État, voient la totalité de leurs pouvoirs les échapper. Certains comme au zaïre tentent de résister avant de céder. Le célèbre « comprenez mon émotion » du Marechal Mobutu, acculé pour ouvrir l’espace politique, raisonne encore aujourd’hui, comme si c’était hier.
Yvon MUYA
Le coup de fil d’Obama, une tradition américaine

Il lui a demandé de ne pas s’accrocher au pouvoir…, c’est la conversation téléphonique la plus commentée ce Jeudi 02 Avril 2015 en République Démocratique du Congo. Celle du président américain avec son homologue congolais. Dans un communiqué publié la veille, la Maison Blanche confirmait en effet cet échange téléphonique entre les deux chefs d’États, échange au cours duquel Barack Obama aurait fait part à Joseph Kabila de l’importance d’organiser les élections dans les délais constitutionnels, crédibles et pacifiques. Dans un contexte préélectoral déjà tendu, voilà un coup de fil qui est venu pimenter encore un peu plus le débat entre le pouvoir de Kinshasa et l’opposition. Face à la jubilation de l’opposition, le porte-parole du gouvernement n’a pas tardé à faire entendre sa musique. ‘’ Ils ont aussi parlé de l’implication d’un diplomate américain basé en Afrique de l’Ouest, dans la tentative de déstabilisation du pays et c’était le sujet le plus important pour nous (NDLR affaire y en a marre et balai citoyen), s’est fendu Lambert Mende sur Rfi. Le coup de fil en diplomatie, une tradition pour les États-Unis…
« Je l’ai raccroché au nez ! »
Ce n’est pas la première fois que les américains font aux congolais le ‘’coup’’ du coup de fil. Le 13 Décembre 1997, Sept mois seulement après la chute du Marechal, la secrétaire d’État Madeleine Albright visite Kinshasa. La visite est placée sous le signe de la ‘’mise du baume au cœur des congolais après 32 ans de dictature’’. Problème, les intérêts de Washington vont changer dans les mois qui vont suivre. Le 02 Aout 1998, la rébellion pro-rwandaise éclate à Kinshasa. En 1999 la pression s’accentue sur Laurent Désiré Kabila, invité à ouvrir l’espace politique. Jusqu’à cet appel téléphonique entre le chef de l’État et la secrétaire d’État américaine, coup de fil que M’zee rapporte en personne aux généraux qu’il réunissait à Kinshasa : « je l’ai raccroché au nez ! ». Un pas que n’a visiblement pas franchi son fils, Joseph Kabila.
Exhorter un homologue africain à se retirer du pouvoir, Barack Obama excelle dans cet exercice. En 2010, son correspondant s’appelait Laurent Gbagbo. En pleine crise postélectorale face à Alassane Ouattara, le chef de la Maison Blanche n’a pas hésité à demander au président ivoirien sortant de « respecter la volonté du peuple et de cesser de revendiquer la victoire ». La suite, on la connaît.
Ça sonne au de la des questions de pouvoir…
Si le téléphone de Barack Obama a composé les numéros des palais présidentiels africains ces derniers temps, il a été aussi actif sur d’autres crises qui agitent le monde. Alors qu’un ‘’accord historique’’ sur le nucléaire iranien, selon les propos mêmes du président américain, vient d’être signé ce jeudi à Lausanne en Suisse, entre les grandes puissances et Téhéran, c’est le lieu de rappeler ce coup de fil en 2013 entre Barack Obama et le tout nouveau président iranien Hassan Rohani. Une première depuis 1979. Depuis la rupture diplomatique entre les deux pays il ya plus de 30 ans. Non seulement, le monde veut s’assurer que l’Iran ne va pas se doter de l’arme nucléaire, mais aussi la population iranienne asphyxiée par des nombreuses années des sanctions économiques peut espérer voir le bout du tunnel.
Le téléphone d’Obama au chevet des iraniens comme il n’a pas arrêté de sonner ces derniers mois entre lui et son homologue russe Vladimir Poutine sur la crise en Ukraine. Comme au beau vieux temps. En pleine guerre froide en 1962, le célèbre ‘’téléphone rouge’’ établissait la liaison entre la Maison Blanche et le Kremlin. Aux deux bouts du fil, John F. Kennedy et Nikita S. Khrouchtchev.
Yvon MUYA
Retrait de la Monusco : pourquoi ce n’est pas pour aujourd’hui
« Nous n’allons pas prendre la responsabilité de laisser derrière nous un pays fragile ». Cette déclaration de Martin Kobler vendredi à New York ne souffre d’aucune ambiguïté. Non, la Monusco n’est pas prête à se retirer du territoire congolais. Pas maintenant en tout cas. Une position qui tranche avec celle du gouvernement congolais. Par la bouche du ministre des affaires étrangères jeudi au conseil de sécurité, Kinshasa a plaidé pour un départ progressif.
RDC-Monusco, le grand désamour…
Cela fait en effet plusieurs mois que le gouvernement congolais et la mission de l’ONU n’émettent plus sur la même longueur d’ondes. Des divergences qui se sont davantage accentuées depuis le début de l’année dans la ligne à suivre pour traquer les FDLR. Au refus de la Monusco de participer à l’opération contre les rebelles hutu Rwandais en raison de la présence des généraux Sikabwe Fall et Bruno Mandefu, soupçonnés d’avoir commis de violation des droits de l’homme dans le passé, le gouvernement congolais a décidé de faire cavalier seul. Envenimant les relations déjà tendues entre les deux parties. En Octobre 2014, Kinshasa s’était déjà attiré les critiques de la communauté internationale après l’expulsion d’un haut responsable onusien. Scott Campbell avait payé les frais d’avoir dénoncé les bavures policières pendant l’opération anti banditisme entre Novembre 2013 et Février 2014.
Ciblée par le gouvernement, la Monusco est aussi dans le collimateur de la population. Celle de l’Est particulièrement qui a manifesté brillamment en Aout 2014 pour dénoncer l’inaction des casques bleus face au massacre perpétré par les ADF NALU à Beni. Des évènements qui ne sont pas sans rappeler la révolte de 2004 contre ce qui était alors Monuc, coupable de n’avoir pas empêché la chute de Bukavu entre les mains des hommes de Jules Mutebusi. Malgré cette levée de bouclier, la Monusco reste bien, elle-même, ‘’ Maitre’’ de son destin en RD Congo. Notre analyse…
Les marges de manœuvre de Kinshasa très étroites…
Comme vient de le faire Raymond Tshibanda aux Nations unies, le gouvernement congolais dépend en grande partie de la bonne volonté du conseil de sécurité pour obtenir le départ, même progressif des casques bleus de son territoire. Depuis la création de l’ONU en 1945, la charte de l’organisation de la paix a accordé le plein pouvoir au Conseil, au détriment de la souveraineté des États. C’est à lui de décider de ce qui est menace sécuritaire ou pas. Et non le pays qui accueille la mission. Beaucoup de choses restent encore à faire, proclamait le chef de la Monusco jeudi devant le conseil. Sans doute que sa parole vaut plus que celle de Raymond Tshibanda devant cette assistance-là. Par ailleurs, la proximité entre la RDC et le Rwanda est une donnée qui doit faire réfléchir les Nations Unies avant d’envisager un quelconque retrait. Il ya déjà 20 ans que le génocide a eu lieu dans ce pays voisin. Mais la résolution du conseil de sécurité de mettre les casques bleus à l’abri alors que la situation devenait explosive au Rwanda, est encore dans toutes les têtes. La suite on la connait. Un million des morts et les Nations Unies accusées de complicité. Certes, la situation est aujourd’hui, de très loin différente en RDC, mais l’Est du pays reste incertain. Il est fort à parier que le conseil de sécurité ne prendra pas le risque de quitter.
L’autre raison pour laquelle le drapeau bleu a encore des beaux jours dans le ciel congolais, réside dans les évolutions observées dans les interventions des Nations Unies au cours des deux dernières décennies. Depuis la fin de la guerre froide en effet, les opérations ne sont plus exclusivement militaires. Le ‘’peace building ‘’ comme disent les anglo-saxons implique aujourd’hui une série d’activités multi-fomes : l’éducation, la formation de la police et des forces de la défense, la réforme institutionnelle et…la consolidation de la démocratie. A la veille d’une élection présidentielle à haut risque en Novembre 2016, les autorités congolaises devront encore compter avec la Monusco.
Yvon MUYA
ILS VEULENT TOUS LE SIÈGE DE KABILA, QUE VALENT-ILS VRAIMENT ?

À un an et huit mois de la présidentielle en RDC, c’est la question qui taraude les esprits à Kinshasa et dans le reste du pays ces dernières semaines. Qui va prendre la relève de Joseph Kabila au palais de la Nation. Depuis la publication du calendrier électoral par la CENI début février, la question se pose encore avec empressement. Dans les états-majors politiques les calculs ont commencé. Les potentiels candidats, plus que jamais sur la ligne de départ.
Notre tour d’horizons…
Il y en a qui ont déjà semé une graine vers la candidature. C’est le cas de Moise Katumbi. Après uns sortie fracassante fin Décembre 2014, le gouverneur de la province du Katanga a marqué les esprits en s’opposant vertement contre un troisième mandat du chef de l’État dont il est pourtant proche. Depuis, le président du TP Mazembe est présenté comme un candidat sérieux dans la course présidentielle. Mais sous quelles couleurs ?
Pour Vital Kamerhe, la question ne se pose pas. Le président national de L’UNC devrait sans aucun doute représenter son parti dans la compétition. Du côté du MLC, on croise les doigts, les regards tournés vers la Cour Pénale Internationale. La CPI tranche en effet le 15 Mars 2015 sur le sort de Jean Pierre Bemba. Selon Me Aimé Kilolo, l’avocat de l’ex vice-président de la république, le verdict devrait être favorable au ‘’Chairman’’. Ce qui relance l’espoir dans les rangs des ‘’fourmis’’. Il ne faut pas non plus oublier l’UDPS où le débat fait rage sur la candidature ou non d’Etienne Tshisekedi, âgé de 83 ans. En attendant d’autres noms sont annoncés pêle-mêle, indépendants ou appartenant à un parti : Denis Mukwege, Freddy Matungulu, Aubin Minaku et bien d’autres leaders des partis politiques. Ils veulent tous le siège de Joseph Kabila. Que valent-ils réellement?
La carte Katumbi
En faisant recours à sa métaphore des faux penalties le 23 Décembre 2014 pour s’opposer au 3e mandat de Joseph Kabila, Moise Katumbi se positionnait ce jour-là comme une véritable alternative au pouvoir, lui qui est un des hommes forts de la majorité actuelle. Mais l’histoire de Moise Katumbi n’a pas commencé avec les ’’ faux penalties’’. Rentré au pays en 2002 après une longue période d’exil, Moise Katumbi a opéré une ascension fulgurante dans l’espace politique. Élu député national en 2006, c’est la province du Katanga qui l’intéresse.
Gouverneur de la riche province du pays depuis cette même année, Moise Katumbi a aussi bâti sa popularité dans le football, lui qui est également président du TP Mazembe, l’un des clubs les plus prestigieux du continent. Au-delà du Katanga, Moise Katumbi a réussi à se faire une renommée nationale, grâce notamment à des gestes de générosité dont il a coutume. Homme d’affaires, propriétaire et actionnaire dans quelques entreprises minières, il a sans doute un carnet d’adresse qui peut compter.
Ses faiblesses : Une popularité sportive n’a jamais été déterminante dans une élection politique. L’exemple le plus récent est celui de la star libérienne Georges Weah. Par ailleurs, Moise Katumbi est l’objet de critiques acerbes venant de son propre camp à propos de la gestion du Katanga. Ses détracteurs pointent la gabegie qui caractériserait l’administration Katumbi au Katanga. Même s’il a été reçu par Joseph Kabila vendredi à Kinshasa, sa rupture avec ce dernier devrait laisser des traces. Lui qui a servi le chef de l’État pendant deux mandants, il risque d’avoir du mal à se positionner confortablement.
Bemba arrive…
Donné pour libre à l’énoncé du verdict le 15 Mars prochain à la CPI, Jean Pierre Bemba ne pouvait pas rêver pareil timing. Et le moment choisi pour cette libération annoncée, a de quoi intriguer. Arrivée deuxième (48%) après Joseph Kabila (52%) à l’issue d’un 2nd tour très serré de la présidentielle de 2006, l’ex vice-président n’était déjà pas loin du but. Bien qu’en prison depuis 2007, le ‘’chairman’’ a gardé un atout précieux sur le terrain. Son parti, le MLC. Depuis sa cellule, il a su en garder le contrôle, même si quelques ténors ont quitté pour rejoindre la majorité.
’’Equatorien’’ d’origine, Jean Pierre Bemba s’est déjà fait connaitre sur le plan national. Non seulement parce qu’il a été vice-président, mais aussi grâce à sa campagne de 2006 à la saveur nationaliste. On se souvient encore du slogan ‘’aza mwana Congo’’ (l’enfant du pays) qui fit alors mouche dans l’entre deux tour en 2006. Aujourd’hui c’est un homme sans doute assagi par huit ans de prison qui s’apprête à rejoindre la liste des prétendants au Palais de la Nation. Lui qui décrit son emprisonnement comme une bonne chose et même une retraite, selon son avocat. Me Kilolo qui rapporte sur TV5 cette phrase du sénateur: « Ce moment m’a permis de réfléchir sur un projet pour un Congo de demain ». Nous voici prévenus !
Ses faiblesses : Arrêté, humilié, après les affrontements de Kinshasa qui ont vu ses troupes balayées par la garde républicaine de Joseph Kabila, Jean Pierre Bemba risque de revenir avec un sentiment de revanche. Décrit par ceux qui le côtoient comme un homme impulsif, il aura un défi de montrer l’image d’un homme nouveau. Pas d’un nouveau Mobutu.
Si la nouvelle de la libération de Jean Pierre Bemba se confirme le 15 Mars, il est clair que les cartes seront rebattues dans l’espace politique congolais. En attendant, les embouteillages sont à redouter sur la route de la présidentielle : l’UNC Vital Kamerhe, déjà présent en 2011 entend bien tenter de nouveau sa chance. Longtemps malmené par ses camarades de l’opposition peu sûrs de sa réelle rupture avec Joseph Kabila, l’ancien président de l’Assemblée nationale s’est depuis, montré très virulent à l’endroit du pouvoir. En première ligne lors des évènements du 19 janvier 2015, il est l’un des ténors de l’opposition qui ont fait plier la majorité sur le projet de révision de la loi électorale. Ses atouts sont son bastion de l’Est et sa facilité à communiquer.
Sa faiblesse reste toujours son passage de la majorité à l’opposition. Pas facile de se faire une place dans une maison déjà occupée par les éléphants, même si l'acharnement du pouvoir ces derniers jours à son encontre a réussi à fédérer autour de lui bon nombre des congolais. Parmi ces éléphants,Etienne Tshisekedi, 83 ans, malade, ne devrait pas y aller. Mais son nom pèsera beaucoup dans la balance.
Dans les rangs de la majorité, le chef de l’État semble n’être pas encore décidé sur son dauphin. Mais ils sont nombreux déjà en embuscade. Quelques noms circulant dans la presse ne sont pas anodins : Aubin Minaku, Augustin Matata Ponyo ou encore Marie-Olive Lembe Kabila… À moins que par la magie du glissement, Joseph Kabila assure lui-même sa propre succession, au-delà de 2016.
Yvon MUYA
RDC : Un calendrier électoral et des questions
Que va-t-il se passer en République Démocratique du Congo dans les semaines et les mois à venir. La question mérite d’être posée au regard de l’évolution des évènements dans le pays. A peine la Commission électorale vient de publier le calendrier électoral, des voix s’élèvent déjà pour mettre en doute sa crédibilité. Qui a tort, qui a raison, quelles sont les stratégies des uns et des autres en vue des futures batailles ?
Notre regard...
D’ABORD CE QUE PROPOSE LA CENI
En pleine tempête et pressée de toute part, la Commission Électorale Nationale Indépendante a donc rendu publique jeudi le chronogramme des élections à venir en RDC. Un calendrier qui reprend une litanie des scrutins. Dès le 25 Octobre 2015 devront se tenir les élections provinciales et locales, suivies des sénatoriales le 17 janvier 2016 et celle des gouverneurs des provinces deux semaines plus tard, soit le 31 Janvier 2016. La présidentielle et les législatives elles n’interviendraient que le 27 Novembre 2016.
Pour nombre d’analystes, ce calendrier est intenable compte tenu du temps qui reste avant la fin du mandat en cours (18 mois). Un doute renforcé par les préalables que pose la CENI pour accomplir les différentes échéances, à savoir, de l’argent (1,4 Milliards USD) ou encore des lois comme celle de la répartition des sièges dans les circonscriptions électorales. Autant dire que la balle n’est plus dans le camp de la CENI.
L’OPPOSITION PIEGEE, LE GOUVERNEMENT REPREND LA MAIN
Au stade actuel des choses, l’opposition qui a demandé avec acharnement le calendrier ‘’global’’ des élections se trouve devant un fait accompli et doit imaginer d’autres stratégies. Car comment comprendre aujourd’hui qu’elle se mette encore à harceler la CENI. Pourtant l’hypothèse d’un glissement de ce calendrier ne parait pas totalement écartée, selon plusieurs experts. Faut-il y voir une stratégie du gouvernement, en tout cas, les faits le démontrent.
UNE COMMUNICATION HABILE…
Revenons un peu aux évènements du 19 au 21 janvier. Dès que le plan de modification de la loi électorale échoue au Senat, le gouvernement et la majorité à l’assemblée nationale comprennent tout de suite qu’il faut changer de stratégie. Et l’option choisie, est d’éviter toute confrontation qui ferait le jeu de l’opposition. C’est le président de l’Assemblée Nationale qui lance le premier cette nouvelle stratégie. Lorsqu’il convoque la presse internationale le 24 Janvier pour annoncer le retrait de l’alinéa querellé de l’article 3 de la loi électorale, Aubin Minaku n’avait jamais été aussi proche du peuple. Nous avons écouté le peuple, a alors lancé le speaker de la chambre basse du parlement. Opération relayée à la télévision nationale par le ministre de la communication et des Médias Lambert Mende qui considérait lui aussi que le peuple a réclamé, le gouvernement ne pouvait que l’écouter. Un changement brusque d’attitude qui répondait à une seule logique, ne pas laisser à l’opposition le monopole du peuple, mais aussi dans la perspective d’un calendrier compliqué à tenir comme aujourd’hui, placer l’opposition devant un fait accompli et se montrer devant l’opinion comme le seul à avoir la bonne volonté. Une communication habile car tout est d’accord aujourd’hui qu’il n’y a plus d’intention pour le chef de l’État de se maintenir au pouvoir…théoriquement.
Avec ce calendrier en tout cas, le gouvernement et Joseph Kabila reprennent la main. Après avoir mené son combat dans la rue, l’opposition va désormais rentrer dans les rangs, se battre dans l’hémicycle cette fois-ci. Objectif, trouver de l’argent et les textes de loi nécessaires. Pour cela, il va falloir demander à Matata Ponyo et Aubin Minaku de presser les pas.
Yvon Muya
GRANDS LACS, L'INSTABILITÉ CHRONIQUE
Et maintenant le Rwanda. Alors que beaucoup l’annonçait sur
le départ, certains évoquant même l’hypothèse d’une candidature de son épouse,
Jeannette Kagamé, Paul Kagamé ne semble pas, lui aussi prêt à quitter le
pouvoir à l’issue de son mandat en 2017.
La constitution actuelle, adoptée en 2003, limite les mandats à deux et donc, interdit au président rwandais de se représenter. Jusque-là le chef de l’État ne s’est pas encore prononcé, mais l’idée commence à germer. Dans une tribune publiée dans la presse locale, trois petits partis proches du pouvoir réclament un referendum sur la modification de la loi fondamentale afin de maintenir leur champion à la tête de l’État. Pour eux, Paul Kagamé est le sauveur de la nation. Il est une chance dont le Rwanda ne peut pas se passer.
2015, 2016, 2017, les années charnières…
Ce débat au Rwanda, s’il y en aura un dans ce pays où la liberté d’expression s'est pas garantie, fait échos à d’autres tensions qui secouent déjà la région. En RD Congo voisine, le débat sur le projet de modification de la loi électorale a fait plusieurs dizaines des morts en Janvier 2015. Le texte a été finalement adopté sans son alinéa controversé qui liait les prochaines élections au recensement de la population et que l’opposition soupçonnait de manœuvres pour prolonger le mandat du président Joseph Kabila qui expire le 19 Décembre 2016. C’est dans ce contexte que le président de la Commission Électorale Nationale a publié jeudi le calendrier des élections. La très réclamée présidentielle, ainsi que les législatives sont finalement prévues le 27 Novembre 2016. Voilà de quoi apaiser davantage les esprits. Resteront maintenant, les questions. Que va faire la majorité, qui pour succéder à Joseph Kabila. Alors que le Palu d’Antoine Gizenga a pris ses distances ces derniers jours avec la coalition présidentielle, le MSR de Pierre Lumbi et l’ARC d’Olivier Kamitatu se sont montrés à plusieurs reprises hostiles à l’idée d’un troisième mandat pour le chef de l’État, sans oublier la métaphore des faux penalties de Moise Katumbi, c’est une véritable guerre de tranchée qui risque d’ébranler le pouvoir.
En RDC la situation se clarifie. Pas au Burundi. A Bujumbura, Pierre Nkuruziza tient coute que coute à briguer un nouveau mandat en juin 2015. Le président burundais s’accroche sur une disposition de la constitution qu’il juge floue. Pas sûr que cela fonctionne. Mercredi, le collectif des associations de la société civile l’a invité à suivre l’exemple de Joseph Kabila, tout en prédisant la violence en cas de candidature pour un 3eme mandat.
À Chaque décennie ses problèmes…
Loin d’être la seule région à être touchée par l’instabilité politique, la région des grands lacs est quand même marquée par une série d’évènement ces dernières décennies. 1994, le génocide contre les tutsi au Rwanda, a des répercussions sur toute la région, la chute du Marechal Mobutu en 1997, l’assassinat de Laurent Désiré Kabila en 2001, jusqu’à l’accord global et inclusif signé à Pretoria le 17 Décembre 2002 entre Kinshasa, le RCD, le MLC et l’opposition politique. Une décennie meurtrière qui a fait des centaines des milliers de morts, des viols et des millions des déplacés. En 2007, le schéma monstre de 1+4 rend son verdict redouté à Kinshasa. Les troupes de Jean Pierre Bemba et la garde républicaine s’affrontent en pleine capitale faisant de nouvelles victimes et inaugurant une nouvelle décennie d’incertitude. Car dans la foulée, ce qui était autre fois le Rassemblement Congolais pour la Démocratie s’est mué en Congrès Nationale pour la Défense du Peuple (CNDP), puis en M23, dans un éternel recommencement téléguidé à chaque fois, selon plusieurs rapports, y compris ceux des Nations Unies, par le Rwanda, l’Ouganda et parfois le Burundi.
Aujourd’hui, c’est une nouvelle décennie qui s’ouvre, celle des élections, Celle-ci comme d’autres auparavant, laissera aussi des traces.
Yvon MUYA